Le Vivier des noms © Christophe Raynaud de Lage

Retour sur Le Vivier des noms de Valère Novarina au Théâtre Joliette-Minoterie

La position de la chair 

 

Le théâtre de Novarina est vraiment à part ; c’est une expérience si particulière qu’elle ne peut être confortable car elle demande au spectateur d’être là avec tout son corps, et toute sa tête.

 

Que se passe-t-il dans un corps de spectateur qui regarde des acteurs s’exécuter ? L’acteur ne cesse d’activer ses circuits corporels pour faire sortir la langue. Cette dépense fait jouir le spectateur, lui active la circulation. Un spectacle n’est pas un livre, un tableau, un discours, mais une durée, une dure épreuve des sens, l’action du langage devenue visible. Cela veut dire que ça dure, que ça fatigue, que c’est dur pour nos corps, tout ce bruit… Il en sort exténué, le spectateur, parce qu’avec Novarina, l’homme n’est pas reproduit proprement, les mots ne tombent pas droit du ciel dans le cerveau, c’est de la chair qui s’exprime et non des pensées. « Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée sont des cochons. (1) » Ce sont ceux qui dominent, qui ont intérêt à faire disparaître la matière, à supprimer le corps, le support, l’endroit d’où ça parle pour qu’on absorbe tout par l’intérieur, sans rien dire, pour étouffer le bruit des corps qui risque de les renverser. Il n’y a pas d’échappatoire, les corps ne sont ni érotisés, ni fascinants, ils n’imitent pas, n’ont pas un style, un jeu d’ensemble ; chaque corps montre la maladie singulière dont il est porteur. L’acteur n’est ni un instrument, ni un interprète, mais le seul endroit où ÇA se passe. Un précipité qui creuse la condition humaine, qui mange le temps, un peuple fourmillant de données, car finalement l’homme ne cesse pas d’assister à lui-même. Novarina sait qu’il ne faut pas trop laisser passer la littérature sinon les mots vident la vie, laissant des cadavres invisibles. Il met en scène la pensée, la vérité de ses stratifications initiales et non le geste de la pensée. Il a cette lucidité du désespoir, cette mélancolie des sens exacerbés comme à la lisière des abîmes avec, dans un coin, des morceaux du monde réel. Le Vivier Des Noms nous sauve de l’absurde qui nous marche sur les pieds, c’est une parole-vie qui stimule l’imagination, une revue (chansons et accordéon en direct) métaphysique d’une grande force.

Olivier Puech

 

Le Vivier des noms de Valère Novarina était présenté les 4 & 5/11 au Théâtre Joliette-Minoterie.

 

Notes
  1. Antonin Artaud – Le Pèse nerfs[]