Chéri Samba, Marche de soutien à la campagne sur le SIDA, 1988 © Magnin-A, Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist

VIH/Sida, l’épidémie n’est pas finie au Mucem

Viral à 360°

 

Lʼexposition VIH/sida, lʼépidémie nʼest pas finie ! au Mucem veut retracer quarante ans dʼhistoire politique et sociale de la maladie, des luttes contre les inégalités et les stigmatisations quʼelle a à la fois révélées et alimentées. Éclipsée par lʼautre célèbre virus dʼaujourdʼhui, lʼexposition porte bien son nom en reprenant lʼun des slogans dʼAct Up dans les 90ʼs. Même si elle devient un objet de musée, lʼépidémie est, hélas, encore loin de pouvoir se targuer de figurer dans lʼhistoire ancienne.

 

 

Dès lʼentrée de lʼexposition : les chiffres dʼaujourdʼhui, répartis sur une carte du monde. Au dessus, un compteur néon des contaminations, une toutes les 19 secondes, tic, tac.

Au fil de ses cinq parties, le commissariat collégial de lʼexposition déroule lʼhistoire dʼune résistance contre la maladie, contre lʼisolement, contre le déni et contre lʼinvisibilisation. Lʼhistoire dʼune contre-histoire, lʼhistoire des oublié.e.s.

Le ton y est concerné, délicat ; et le regard sur les préjugés, acerbe. Là, par exemple, à côté des unes de presse qui multiplient les intox, les méprises sanitaires et les amalgames homophobes, à lʼombre dʼun recoin, comme cachée, une affiche éditée par la propagande du tristement célèbre FN. Cʼest un acrostiche qui, entre autres, se vautre dans le racisme et lʼhomophobie — et qui sera interdite quelques mois après sa sortie. Son accrochage et sa place a fait débat chez les commissaires et on comprend pourquoi : pourquoi et comment donner ici une voix à lʼhorreur ? Cʼest quʼelle témoigne, de manière emblématique et paroxystique, des préjugés qui tuaient… qui tuent.

Après les archives majoritairement stigmatisantes organisées dans la première partie, « Le choc des premières années », vient une installation surplombante, qui nous accompagne et nous soutient, pour traduire ce besoin dʼune organisation collective pour lutter contre la mort et la marginalisation. Les banderoles, les photographies de presse des die-in, les t-shirts militants floqués de slogans, les pinʼs, les brochures de prévention… confiés au Mucem par diverses associations — beaucoup viennent dʼAct Up — de lutte contre lʼépidémie et contre les stigmatisations desdits « 4H » (homosexuels, héroïnomanes, hémophiles et Haïtiens), qui étaient, comme le rappelle Florent Molle, co-commissaire de l’exposition, « à la fois victimes et accusés » par lʼopinion. Si le masculin prévaut ici, cʼest que les femmes étaient encore ignorées : une cimaise nous expose un peu plus loin les traces laissées par les luttes des femmes, quʼelles soient trans, homos ou hétéros. Et un peu plus loin, celle consacrée aux travailleur.se.s du sexe, lucides depuis longtemps sur les risques du métier. Toutes des archives de réflexions, de témoignages, de relations, de réclames ; parfois vidéo, parfois photos, parfois dessins, textes, lettres ou cartes postales.

Comme dʼhabitude au Mucem, les fonds sont plus constitués dʼarchives que dʼœuvres dʼart. Dʼautres expositions aux fonds davantage artistiques se préparent, à Paris ou Strasbourg. Cependant, les œuvres, les archives de lutte et de prévention sont rares tant quʼelles ne viennent pas du versant occidental : quid de la situation sur le continent africain, le plus touché par les contaminations meurtrières ? On nous présente des œuvres fortes, comme la Marche de soutien à la campagne sur le sida (1988) de lʼillustre Chéri Samba, artiste et peintre contemporain de la république démocratique du Congo ; ou les magnifiques et magnifiants portraits photos de pairs éducateurs et éducatrices exerçant en Afrique francophone, avec la série Minorités du militant et photographe Régis Samba Kounzi, franco-congolais-angolais, qui immortalise une histoire alternative.

Peu de contenu disponible peut-être, en tout cas, peu de contenu proportionnel à la situation sur le continent africain, ou en Haïti, que lʼépidémie avait dʼabord meurtri en sortant du bassin du Congo. Le dernier chapitre, « Quels héritages ? », retrace les avancées pour lesquelles il a fallut se battre durement ces quarante dernières années, mais questionne aussi la situation au présent et à venir.

Vous entendrez dès lʼentrée une sirène retentir tous les quarts dʼheure. Juste avant la porte de sortie, lorsque nous nous y sommes (cyniquement) presque habitué.e.s à lʼentendre, sa provenance est enfin identifiée. À découvrir, lʼœuvre aux accents conceptuels de Benny Nemer, The Return (2010), pour nous rappeler ici, au musée, lʼurgence de la situation.

Cette œuvre fonctionne comme une métaphore de lʼexposition. Elle fait œuvre de prévention pour les jeunes générations et réussit à inscrire enfin le VIH/sida comme préoccupation institutionnelle. En ce sens, elle sʼengage à proposer une approche sensible, à donner collectivement une visibilité aux personnes qui doivent parfois encore, par sérophobie, se tenir dans lʼombre. Elle reporte lʼattention sur les défauts dʼaccès à la prévention et aux traitements qui persistent notamment en Afrique, malgré les actions qui y sont engagées. Elle invite au dialogue pour un présent et un futur qui espère endiguer et la maladie, et les inégalités que lʼépidémie creuse.

 

Margot Dewavrin

 

 

VIH/Sida, l’épidémie n’est pas finie : jusqu’au 2/05 au Mucem (Esplanade du J4, 2e).

Rens. : www.mucem.org

Dans la continuité de l’exposition, la Nuit des Idées – « (Re)construire ensemble » tiendra deux tables rondes le 27 janvier à partir de 18h30 au Mucem.