Tristesses par Das Fraülein © Phile Deprez

Tristesses par Das Fraülein (Kompanie) au Théâtre du Gymnase

Bonjour Tristesses

 

La tristesse, tel que le langage courant l’entend, peut nous prendre par surprise ou monter en puissance, traduire une émotion face à un événement tragique, et être rejetée ou accueillie à coup de larmes généreuses. Et si cette émotion cachait un temps de faiblesse que nous fabriquons sans le savoir, moment où la manipulation politique a les pleins pouvoirs ? Tristesses d’Anne-Cécile Vandalem nous invite à y réfléchir.

 

Le pouvoir politique a toujours entretenu des relations ambiguës avec les médias, prônant la liberté d’expression tout en censurant parfois de manière discrète. Par ailleurs, tous deux partagent la faculté de manipuler l’opinion des masses. Mais nous, citoyens spectateurs, que pensons-nous de l’un comme de l’autre ? Un simple regard aux informations transmises permet déjà de constater que les nouvelles ont de quoi nous attrister, entre dérèglement climatique, guerres ou faits-divers sordides à la une. Et c’est bien quand notre moral est à terre, que notre pessimisme nous envahit, que le pouvoir en profite. C’est cette relation entre pouvoir et tristesse qui est au cœur de l’œuvre d’Anne-Cécile Vandalem.

À l’origine de la pièce, un mélange de constat pratique et d’inspirations philosophiques. Anne-Cécile a « observé l’état du monde et la montée des populismes partout en Europe, remarquant que plusieurs mouvements politiques se nourrissent de l’impuissance et de la désespérance ambiante. » Elle alors croisé ses observations avec « les versions de la tristesse exprimées par Gilles Deleuze (lui-même citant Spinoza) et Georges Didi Hubermann. » Ici, la tristesse perd son image unique d’émotion négative pour devenir un trait de la relation avec l’autre qui ne nous convient pas.

Nous sommes en 2016 et l’Europe subit une montée puissante des partis d’extrême droite. Dans les pays nordiques, c’est le Parti du Réveil Populaire, tenu par Martha Heiger, qui s’impose peu à peu. Sur l’île imaginaire de Tristesses, où n’habitent plus que huit personnes suite à la faillite de son principal moteur économique, les abattoirs, la mère de Martha Heiger est retrouvée pendue. Mais est-ce bien un suicide ?

Comme pouvaient le laisser imaginer l’affiche et la bande-annonce de Tristesses, nous voilà plongés dans une atmosphère évoquant des allers-retours scandinaves entre ombre triste et lumière joyeuse de cinéastes comme Lars Von Trier ou Aki Kaurismäki. Il nous est ainsi rappelé que la tristesse ne peut se comprendre seule. Ses causes et conséquences la définissent aussi et son double opposé, l’humour, n’est jamais loin. Il apporte « le recul nécessaire pour aborder toute situation dramatique, voire tragique. C’est une des conditions de mon écriture, affirme la metteuse en scène. Sans cette dérision, on meurt, tout simplement. C’est peut-être un peu en cela le contraire de la tristesse. »

La vision de la tristesse ici transmise est donc celle du philosophe Gilles Deleuze. Ce dernier ne parle pas « de tristesses inévitables telles que la mort ou la maladie (au contraire, la mort est vue dans le spectacle comme un élément de puissance), mais [des] tristesses que nous nous fabriquons, dans lesquelles même parfois nous avons un malin plaisir à nous vautrer. Situations ou éléments extérieurs qui diminuent notre puissance d’agir et nous immobilisent sur des lignes de tristesses. Ces tristesses interviennent tant dans nos relations personnelles (familiales, de couple etc…) que dans le politique au sens large… » Anne-Cécile Vandalem s’est donc posé la question de « savoir si finalement ces mouvements populistes grandissants ne profitaient pas de ce travers si cher à l’être humain. » Partant de cette analyse, les schémas de tristesses étant une création humaine, et non un événement subi, « il ne tient qu’à nous de les analyser, les traquer, et les réduire au silence. »

Après avoir abordé l’échec politique avec Tristesses, Anne-Cécile Vandalem nous parlera d’échec écologique à l’été 2018 au festival d’Avignon avec Arctique ; une histoire de vengeance à bord d’un ancien navire de croisière en route vers le Groenland. Nous serons donc heureux de retrouver l’auteur, quand bien même nous pourrions connaître des moments de tristesse. Tant qu’ils ne sont pas subis, ils seront bienvenus.

 

Guillaume Arias

 

Tristesses par Das Fraülein (Kompanie) : du 18 au 20 /04 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er ).

Rens. : 08 2013 2013 / www.lestheatres.net