Trésors coupables

Trésors coupables. Pillages archéologiques en France et dans le bassin méditerranéen au Musée d’Histoire

Mémoires d’outre-tombes

 

Marseille l’inclassable, Marseille la rebelle, Marseille la plus ancienne ville de France… est incontestablement une ville d’histoire. En son centre autrefois névralgique, elle y a fondé le musée qui se consacre à sa mémoire. On y passe souvent, mais on en pousse rarement la porte (pourtant rénovée), redoutant la somnolence des collections indigestes d’objets assoupis qui seraient moins reluisants que ceux des vitrines mercantiles du centre commercial dont elle partage l’abri… Et pourtant ! Point d’ennui, que nenni ! Depuis décembre, c’est une exposition dynamique, au titre intrigant, qui nous invite à entrer dans les coulisses du temps, à la recherche des trésors perdus — et surtout retrouvés.

 

 

Indiana Jones, Tintin, Lara Croft… nombreux sont les personnages qui peuplent nos imaginaires à la recherche de merveilles enfouies, au cours d’aventures formidables, riches en péripéties. Dans la vraie vie, ces pirates existent, traquant l’amphore jusqu’au fond des mers, le sabre d’un grand général de guerre ou toute autre pépite enfouie et oubliée dans la légende des siècles. Pourquoi le font-ils ? Quelles sont leurs motivations ? La plupart du temps, selon l’adage du rare qui devient cher, ils espèrent profiter ainsi à leur tour de piécettes sonnantes et trébuchantes… mais pas que. La gloire d’être celui qui trouve l’inédit, d’arriver le premier dans cette grande chasse au trésor, est une récompense inestimable, qui transforme le destin du pionnier-piocheur en élu, capable de nous faire remonter le temps, dans un Code Quantum qui brouille les pistes plus qu’il ne nous en indique le chemin…

Et c’est bien là que se trouve l’enjeu de l’exposition Trésors Coupables, qui veut sensibiliser nos contemporains aux Pillages archéologiques en France et dans le bassin méditerranéen. Au-delà du délit que le pillage constitue puisqu’il exploite à des fins personnelles un bien patrimonial, donc commun, Xavier Delestre, conservateur du patrimoine et conservateur régional d’archéologie de la DRAC, s’est entouré de l’équipe des Musées de Marseille et de multiples partenaires pour élaborer ce parcours à la dramaturgie étonnante, avec en rôle principal celui qu’on voit rarement sous les feux de la rampe, l’archéologue.

Il faut rendre à César ce qui lui appartient : bien loin d’être un scientifique coupé du monde des vivants et proche du rat de bibliothèque, l’archéologue est un être bien réel, ayant pour vocation de redonner vie à un objet qui a traversé les siècles, avec pour mission de transformer en histoires vraies des faits jusque-là invisibles car intangibles. Mais cela, il ne peut le faire qu’à une condition primordiale : si et seulement si le contexte est préservé ! On connait désormais la chanson : le terrain est tout, l’objet en lui-même n’est rien. Si d’autres indices complètent son interprétation, alors l’objet, le fragment devient réponse et offre la clé de ses mystères. Loin du gratteur de sol qui partirait la fleur au fusil et sa pelle sous le bras, l’archéologue est ce chevalier moderne qui, en fouillant, va voir en l’objet la réponse à sa question, pour mettre le savoir au service de tous, au service de notre mémoire partagée et commune.

Comment donc lui redonner ses lettres de noblesse ? In situ, après avoir longé une vitrine remplie de petits objets sériels de la collection permanente, on entre dans un parcours dynamique, qui n’hésite pas à mêler d’emblée les icônes de la culture populaire contemporaine à des trésors jamais montrés au public. Ces objets que vous allez voir ont été volés, et sont devenus impossibles à interpréter, ayant peut-être ainsi emporté avec eux leurs secrets à tout jamais. Le ton est donné : un parfum d’enquête flotte sur les 400 mètres carrés dédiés à l’exposition, qui nous plonge dans un thriller dont nous devenons les témoins, tour à tour émus par la poésie de l’oubli anonyme ou révoltés par la subtilisation de notre bien commun au profit de certains individus. Attisant habilement la curiosité des petits comme des grands par une scénographie qui relève parfois de la scène du crime, l’exposition nous rend subtilement conscients de notre citoyenneté. Et c’est bien d’elle dont on comprend qu’il est aussi question, sous nos pieds, dans ce patrimoine fragile et plus que jamais vivant.

Classée d’intérêt national et reconnue par l’Unesco (c’est dire la richesse qu’elle constitue à elle seule), l’exposition Trésors coupables est donc une occasion exceptionnelle de partager avec tous et sans prérequis une science enthousiasmante. Digeste, efficace en temps et en heure, l’exposition, qui sera à l’affiche pendant toute l’année, est enrichie par un cycle de conférences auxquelles vous pourrez assister de vivo ou online. Un pari réussi qui prend à rebours la question du patrimoine, en choisissant l’angle du pillage, et qui rend ainsi épaisse la conscience des enjeux du collectif, aujourd’hui si éprouvée par ceux qui récupèrent le fait historique. L’histoire est une science en devenir, le nôtre, à nous tous de la protéger. Et avant que d’autres ne le fassent à votre place, à vous de vous en emparer !

 

Joanna Selvidès

 

Trésors coupables. Pillages archéologiques en France et dans le bassin méditerranéen : jusqu’au 12/11 au Musée d’Histoire (2 rue Henri Barbusse, 1er).

Rens. : www.musee-histoire-marseille-voie-historique.fr