Tout le monde en parle

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Manu Larcenet marche au paradoxe et ça lui réussit. Un peu moins à sa production. Le héraut de la nouvelle génération BD — et poule aux œufs d’or de Dargaud — reste néanmoins un auteur remarquable. En attendant sa venue samedi à la Fnac, retour sur un parcours ascensionnel. Et sensationnel ? (lire la suite)

Manu Larcenet marche au paradoxe et ça lui réussit. Un peu moins à sa production. Le héraut de la nouvelle génération BD — et poule aux œufs d’or de Dargaud — reste néanmoins un auteur remarquable. En attendant sa venue samedi à la Fnac, retour sur un parcours ascensionnel. Et sensationnel ?

Depuis quelques temps, on sent une certaine usure chez Larcenet. Des aspects moins nobles que la création pure semblent avoir pris le dessus. L’auteur l’avouait lui-même récemment sur son blog[1] : « Comment dire ? Que je m’en rende compte ou pas, il m’arrive de choper le melon, la grosse tête, et toutes ces sortes de choses. Il ne servirait à rien de le cacher, les mondanités, les honneurs, le pognon, les compliments des lecteurs, les courriers, tout ça fait qu’insensiblement, j’ai glissé, je l’avoue, sur la pente savonneuse de « je me la pète un minimum ». » Un « glissement » qui a abouti à la publication d’un médiocre (et méconnaissable) tome 4 d’une de ses séries-phares jusque-là à peu près préservée, Le retour à la terre. D’où la question : comment quelqu’un qui a eu une foi suffisamment forte pour créer dès ses débuts sa propre maison d’édition — et publier des albums très personnels, hors-cadre et sidérants[2] — peut-il désormais se soumettre à un processus qui est en train de le lessiver ?
En 1994, Larcenet intègre très vite la bande de Fluide Glacial et publie dans la foulée Soyons fous, La Loi des séries et Bill Baroud. Autant de petits chefs-d’œuvre effrénés à l’humour décapant et à la raison folle. En 2000, il rencontre Guy Vidal. L’homme de Dargaud est un négociant, un renard qui sent le vent venir. Il attire dans les filets de sa collection Poisson Pilote[3] la plupart des futurs caïds du nouveau mouvement BD : Sfar, Trondheim, Blain, David B., Satouff… Pour Larcenet, le résultat, quoique correct, s’avère moins probant. L’auteur cherche de nouvelles marques et si des ouvrages comme Les Entremondes (co-signé avec son frère) ou Les Cosmonautes du futur[4] restent plaisants, ils paraissent moins hardis que leurs prédécesseurs.
La période 2002/2003 va donner à Dargaud des raisons d’exulter : Larcenet devient une « star » — et produit beaucoup : pas moins de cinq albums par an, dont les précieux Histoires rocambolesques, Retour à la terre et Combat ordinaire. Tandis que Les Histoires rocambolesques[5] renouent avec l’esprit décapant de Fluide, les deux autres séries abordent une thématique similaire chère à l’auteur : l’éloignement de la ville et la vie simple à la campagne avec sa compagne, le tout mâtiné de réflexions intimes sur l’existence. Si les deux récits ne se conjuguent pas sur le même mode (comique pour Le retour se conjugue, plus dramatique pour Le Combat), leur fluidité confirme que Larcenet, en plus d’être un incroyable dessinateur, excelle à raconter des histoires. C’est un immense succès. Et le début d’une prison aussi : sous pression, l’auteur produit dix albums en trois ans[6], élimant le principe jusqu’à la moelle. Manu Larcenet se trouve probablement aujourd’hui à cet instant de sa carrière où la réussite commerciale vient quelque peu contrarier les élans créatifs. Compte tenu des exigences graphiques et scénaristiques encore présentes dans Ex-Abrupto[7], gageons que ce ne soit qu’un mauvais passage. Le garçon a l’air conscient du problème, c’est déjà un grand pas.

Lionel Vicari

Séance de dédicaces samedi 7 à 15h à la Fnac Centre Bourse.

Notes

[1] http://tempsperdu.over-blog.org

[2] Larcenet crée en 1997 Les Rêveurs de runes, où il auto-édite quelques petites perles comme L’Artiste de la famille, Dallas Cow-boy…

[3] Collection dite « alternative/underground » de Dargaud.

[4] Sur un scénario de Trondheim, avec qui il collabore également sur les Donjon Parade (Delcourt)

[5] Le principe : prendre un personnage célèbre et lui imaginer une vie improbable. Ainsi, dans le tome 1, Freud se retrouve au Far West. Notons que les tomes 2 et 3 sont beaucoup moins réussis.

[6] Trois épisodes du Combat, trois des Histoires… et quatre du Retour

[7] Dernier ouvrage paru aux Rêveurs de runes.