Chance is a word void of sens, nothing can exist without a cause de Timothée Talard

Timothée Talard – Chance is a word void of sense
nothing can exist without a cause : à la Galerie Gourvennec Ogor

L’aquoiboniste

 

Ils ont commencé leurs carrières respectives ensemble, il y a dix ans. Une histoire de fidélité qui se caractérise par une deuxième exposition personnelle de Timothée Talard, pour laquelle la galerie Gourvennec Ogor double son espace d’exposition, offrant à l’artiste toute l’envergure que son travail nécessite.

 

Le travail de Timothée Talard, c’est un peu Sex, drugs and rock’n’roll, mais version année 2000, c’est-à-dire sans joie, sans cynisme mais avec lucidité, avec désinvolture et sans résignation. Artiste irrévérencieux qui décide lui-même des règles du jeu, Timothée Talard casse, tague, coule, projette, tache, bombe… Autant de gestes qui témoignent d’un aquoibonisme relevant autant de l’histoire de l’art et de l’impossibilité d’innover qu’à l’idée que rien ne sert à rien puisqu’on va tous mourir.
Même les bad boys sont désenchantés, moins épris de liberté que de trouver une place dans une société qui avale tout, qui casse tout… qui gâche tout. Rien de marginal chez cet artiste qui, en pur produit de la génération Y, assume un tas d’ambivalences : Timothée Talard est anticonformiste et tout son contraire, individualiste et altruiste, peut-être même anticapitaliste tout en revendiquant de jouer le jeu du marché de l’art, s’octroyant le droit de cracher sur tout quand bon lui chante. Pas de révolte ni de slogan politique et pourtant, tout, dans son travail, parle de cette laideur de la rue dont il se nourrit et qu’il décide de regarder d’un nouvel œil.
Du trivial au sublime, Timothée Talard ramène dans le champ de l’art ce qui a priori n’aurait rien à y faire. Ici, les monochromes portent bien mal leurs noms, peintures aux pigments polychromes utilisées pour le tunning, dont il bombe ses toiles comme on peint une voiture. Les tons changent au fur et à mesure du déplacement du spectateur. On passe de gammes en gammes, se perdant dans de multiples impressions colorées, instables, mouvantes et émouvantes. La série rappelle ses monochromes où l’utilisation du xylène — hydrocarbure également propice à la défonce — créait des arcs-en-ciel…
Au-delà de son histoire personnelle et des questions sociétales qui traversent ses œuvres (les énergies salissantes, les travers et les revers de l’industrie…), la peinture de Timothée Talard questionne l’acte de peindre lui-même. Dans ses Monochromes et ses Tentatives de monochromes où de larges taches d’encre noires emplissent la surface de la feuille, il joue avec les fluides. Ainsi, la matière se comporte indépendamment de la volonté de l’artiste ou presque. « La peinture se peint elle-même », dit-il.
Au sol, L’oubli, pour toujours, des ersatz de vénus antiques, produits manufacturés potentiellement issus de chez Leroy Merlin, jonchent le sol, fracassés par on ne sait quelle révolution (artistique). Faire table rase du passé ou repartir de là où d’autres se sont arrêtés, telle est la question inéluctable pour l’artiste. Timothée Talard préfère casser ses jouets lui-même avant que d’autres ne s’en chargent… Ses œuvres témoignent d’une violence qui coule comme le goutte-à-goutte d’une perfusion, insidieuse.
Dans la seconde salle, des caissons lumineux (supports largement utilisés par la publicité pour sublimer son message mercantile) sont ici détournés par l’artiste. Il en fait un cimetière de stèles sur lesquels des tags sont jetés à la mémoire d’une société jadis civilisée. Douces-amères, les phrases sont ici empruntées à la littérature, à la musique, ou sont le fruit de réflexions personnelles autour du sentiment de deuil : l’artiste révèle sa fragilité à demi-mots…
Il soumet au regardeur sa vision d’un monde où ce qui nous guérit peut aussi nous tuer. Tout détruire ou réenchanter le monde ? Timothée Talard ne tranchera pas. Ses œuvres à double tranchant relèvent du meilleur comme du pire. Elles sont surtout pétries des angoisses inhérentes à notre époque.

Céline Ghisleri

 

Timothée Talard – Chance is a word void of sense
nothing can exist without a cause : jusqu’au 18/10 à la Galerie Gourvennec Ogor (7 rue Duverger, 2e).
Rens. : 09 81 45 23 80 / www.galeriego.com