Théodule Ribot - Cuisinier comptable (1862)

Théodule Ribot, une délicieuse obscurité au Musée des Beaux-Arts de Marseille

Portrait Ribot

 

Théodule Ribot : une délicieuse obscurité. On était prévenu.e.s… Nulle débauche de couleurs, donc, mais de subtils clairs-obscurs nous attendent au premier étage du Musée des Beaux-Arts de Marseille.

 

 

En cette période d’insouciante légèreté, où tout n’est que luxe calme et volupté (comme dirait un célèbre splénétique), nous avons eu la lumineuse idée de visiter l’exposition consacrée à l’obscur Théodule Ribot, un orageux samedi d’épisode méditerranéen. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la peinture du maître est parfaitement raccord avec l’humeur du moment…

Théodule. Ça c’est du prénom qui vaut le détour ! Éclipsé par ses prestigieux contemporains, Millet, Courbet, Manet et consorts, Théodule Ribot est un peintre normand qui a pourtant compté dans le courant réaliste du XIXe siècle. Il était temps qu’il échappe au cénacle des spécialistes : cette exposition itinérante, d’abord installée au Musée des Augustins de Toulouse, puis aux Beaux-Arts de Marseille et prochainement au Musée des Beaux-Arts de Caen, est aussi une tentative de réhabilitation de son œuvre auprès du grand public. Et comme un pied de nez fait aux comparaisons qui l’ont trop souvent desservi, il ne s’agit pas seulement d’une monographie de l’artiste, mais d’un savant travail de mise en regard de ses œuvres avec celles de ses maîtres et de ses contemporains. Il n’en fallait pas moins pour braquer les projecteurs sur ce maître de l’obscurité, comme le rappelle Gabriel Weisberg, historien de l’art qui a pris part au commissariat scientifique du projet : « Les collectionneurs trouvaient souvent que ses œuvres avaient l’air sale et qu’elles devaient être nettoyées. En réalité, le soin que Ribot apportait à la réalisation de ses tons sombres – ses noirs – étaient tout simplement détruits par un nettoyage excessif. »

La scénographie de l’opus marseillais est simple mais non exempte de surprises : quand on part du très sérieux Portrait de ma fille, en passant par Un Gigot (inquiétant !) pour terminer sur Le Supplice d’Alonso Cano, on a tendance à se demander ce qui ne tourne pas rond chez le bonhomme… Mais patience ! Le parcours s’ouvre donc sur une première section, « Les Portraits de famille », qui nous permet de nous familiariser avec le style caractéristique de Ribot. Clairs-obscurs où les noirs épais semblent engloutir des visages lourds et bas, sauvés in extremis par la lumière ; un trait flou, souvent brossé ; des expressions saisissantes qui donnent vie aux sujets… aucun doute, Théodule mérite toute notre attention.

La deuxième section, « Espagne, Italie et France : aux sources du réalisme », nous invite à découvrir l’œuvre en contexte : on y croise des contemporains de l’artiste, comme Antoine Vollon et son élégant Espagnol, ou Rodriguez de los Rios y de Losada et La Madeleine en prière qui rappellent toute l’admiration que Ribot portait au Siècle d’or espagnol. Puis viennent les figures de fantaisie, série dans laquelle les philosophes du peintre normand dialoguent avec ceux du Marseillais Torrents ou des Italiens Fracanzano et Preti. Des portraits de groupes, comme Au Sermon ou Les Empiriques, se dégage une solennité héritée de ses modèles du passé, mais Ribot se singularise dans ses figures de femmes aux traits malaxés par la vieillesse, aux regards scrutateurs, surprises dans leurs tâches quotidiennes et pourtant toujours empreintes d’un inquiétant mystère. À la section suivante, « La vie des humbles : musiciens et travailleurs », nous sommes accueilli.e.s par Le Flûteur (superbe) et sa cohorte de portraits d’instrumentistes, puis vient le tour du réalisme sociologique, avec les portraits de travailleur.se.s.

C’est alors que le gigot entre scène ! La troisième section, « Natures mortes et cuisines », est consacrée à l’une des spécialités de Ribot, les scènes de cuisine, auxquelles on l’a trop souvent cantonné. Pour les plus courageux.se.s, il s’agira de percer à jour la symbolique spirituelle de ces quartiers de viande, œufs, citrouilles et autres ustensiles. En ce qui nous concerne, nous avons préféré nous arrêter devant Le Marmiton portant des rougets de Joseph Bail, un gosse de cuisine qui pose crânement, son mégot au coin des lèvres.

La dernière section, « Ribot et la peinture d’histoire », nous présente les grandes fresques martyrologiques du maître, toujours accompagnées d’œuvres échos. Des rognons aux corps suppliciés, la claque est magistrale !

En redescendant les marches du Palais Longchamp, vous vous ferez peut-être cette réflexion : dans la timide auréole illuminée d’une lueur mourante de Saint Sébastien, martyr se lit tout l’art de la résonance de Théodule Ribot ; l’ombre dissimulatrice et la clarté discrète saisissent anonymes, poiscaille et saints dans une universelle étreinte.

 

Antoine Nicoud-Morabito

 

 

Théodule Ribot, une délicieuse obscurité : jusqu’au 15/05 au Musée des Beaux-Arts de Marseille (Palais Longchamp – 9 rue Édouard Stephan, 4e).

Rens. : musees.marseille.fr/musee-des-beaux-arts-mba