The Gospel of James Baldwin de Meshell Ndegeocello

Mémoire vocale

 

Meshell Ndegeocello s’est saisie de l’œuvre de James Baldwin et propose une création dans laquelle virtuel et réel s’entremêlent pour nos plus grandes joies comme pour nos peines les plus profondes.

 

La bassiste américaine Meshell Ndegeocello est également chroniqueuse des expressions artistiques afro-américaines contemporaines : on a pu notamment la voir dans le documentaire Motown interviewant et jouant avec les musiciens qui accompagnèrent les chanteuses et chanteurs de soul les plus en vue du label de Detroit, et encore récemment, elle s’est produite aux côtés du pianiste nu-jazz Robert Glasper, sans oublier de publier quelque album de temps en temps.

Ici, elle est l’architecte d’une création multimédia — coproduite, entre autres, par le Festival de Marseille — destinée à revivifier le patrimoine de l’un des auteurs les plus sulfureux de l’Amérique noire, James Baldwin. Pour la musicienne, il s’agissait de renouer avec le message d’émancipation de l’auteur de La Prochaine Fois, le feu, et d’amplifier les messages du mouvement Black Lives Matter.

 

Foyers multiples

Tout commence par une performance juste après l’élection de Trump en 2016, autour de l’œuvre du romancier-poète et dramaturge (1984-1987). Le contexte pandémique, en 2020, sera l’étincelle pour une création qui, plus qu’un hommage, est un manifeste multimédia des luttes pour la dignité des afro-américains. Les populations reléguées des ghettos sont parmi les premières victimes de la Covid-19.

C’est, semble-t-il, ce qui a poussé le Fisher Center de New York à être opérateur du projet : ce centre artistique à visée éducative, qui a plus d’un demi-siècle d’existence, a permis à une proposition scénique de trouver des caisses de résonnance plus intimes. On peut notamment téléphoner gratuitement de n’importe quel endroit de la planète pour écouter les remix de la voix de Baldwin par Meshell et sa bande, ou encore une lecture de l’éloge funèbre à l’auteur par le poète militant Amiri Bakara (alias Leroi Jones, auteur de l’essai fondamental Le Peuple du Blues). On peut également visionner des clips dont l’esthétique afro-futuriste le dispute à l’existentialisme jazzy de Baldwin. Ou bien encore télécharger un fanzine dont les collages semblent directement issus d’un dazibao des Black Panthers (Baldwin fut un de leurs plus fervents soutiens, même depuis son exil de Saint-Paul-de-Vence… alors que certains de ces derniers lui reprochaient son homosexualité, les c…).

Pour Meshell Ndegeocello, la lecture de Baldwin, sa transposition scénique et sa diffusion sur le web sont autant de manifestations des ressources de résilience dont cette œuvre est vectrice. Si l’on peut se prendre à rêver que, sans la crise pandémique du capitalocène, nous aurions pu assister à la performance The Gospel of James Baldwin en live dans la cité phocéenne, le cadeau que nous offre le Festival de Marseille et ses partenaires nord-américains vient à point nommé nous rappeler que la question noire étatsunienne est centrale pour celles et ceux qui continuent à croire en un autre futur.

 

Laurent Dussutour

 

 

Pour en (sa)voir plus : www.festivaldemarseille.com / https://meshell.com/fr/intro