Soudain la nuit par la Cie Du Zieu

Retour sur Soudain la nuit par la Cie Du Zieu à la Cartonnerie

Nouvelles frontières

 

Confrontant l’étrangeté de nos pensées nocturnes à la place accordée aujourd’hui en Europe aux étrangers, le spectacle Soudain la nuit était présenté au Théâtre Massalia. La compagnie du Zieu termine ainsi son cycle « Spectres de l’Europe » en interrogeant, sans aucun didactisme, le sens de nos comportements politiques et ses dérives.

 

Une salle comme il en existe partout, des chaises grises métalliques, immuables, froides et impersonnelles, supportant le poids des parcours de vie qui s’y échouent un jour ou l’autre. Des personnages captifs, démunis, sont traversés incidemment par leurs angoisses balancées sans introduction aux spectateurs, placés comme expérimentateurs chargés d’analyser la situation. Puis la fiction (si on peut la nommer ainsi) s’éclaircit avec l’arrivée du jour. Ce lieu est un service médical au sein d’un aéroport européen, dirigé par un médecin marocain, despotique et clochardisé, qui n’a plus que l’apparat de sa fonction pour assurer sa légitimité. Cinq personnes sont ici en quarantaine, dénudées pour des questions d’hygiène mais aussi pour provoquer nos regards occidentaux, trop habitués à ces impudeurs. A l’inverse, le docteur Chahine porte plusieurs couches superposées. Il se détourne sciemment de cette nudité à tout-va, mettant en exergue un des marqueurs symptomatiques du clivage Orient/Occident. Les existences en place sous nos yeux sont à la frontière du réel et de l’au-delà, les parcours de vie se livrent sans intimité, interrogeant de manière discrète et subtile l’idée même de frontière. Les frontières géopolitiques sont bien peu de choses face à ce qui nous assaille aujourd’hui. Du terrorisme au virus Zika, ces barrières de protection sont, elles aussi, en passe de devenir spectrales. L’exigence de la mise en scène de Nathalie Garraud, la précision des acteurs et la qualité des silences rendent la pièce profonde et inquiétante, avec des strates de compréhension comparables à celle de l’inconscient. La solennité pèse parfois un peu lourd sur les propos de Chahine, mais le texte d’Olivier Saccomano est suffisamment armé et poétique pour ne pas en être altéré. Du Zieu est une compagnie dont les vertus artistiques se confirment à chaque création. Gageons que le contexte de financement culturel n’entachera pas leurs conditions de travail (temps de recherche et élaboration au long cours) nécessaires à l’intensité de leurs propositions.

Diane Calis

 

Soudain la nuit par la Cie Du Zieu était présenté du 29 au 31/03 à la Cartonnerie.

Pour en (sa)voir plus : www.duzieu.net