© Dominique Louis photographie

Sea Up and Down à la Maison Buon

Hello submarine

 

Dans le remous des vagues, l’appel à l’aide est lancé. Accueillie par l’espace éphémère Maison Buon, l’exposition Sea Up and Down présente à ses visiteurs des fonds marins dont l’immensité et la fragilité ne font qu’un. Six photographes passionnés par l’objectif et la plongée lèvent le voile sur l’éclat d’une faune et d’une flore tristement menacées. Quand l’éveil des consciences passe par la vérité des clichés.

 

Espace accueillant et aéré, la Maison Buon permet une réelle proximité avec son sujet. L’univers aquatique vient ici naturellement nous saisir. En observant les œuvres de l’exposition Sea Up and Down, le rythme d’un clapotis artistique se forme sans prévenir. C’est en regardant de plus près les photographies à l’honneur que le curieux communie avec la mer… Et qu’il se confronte à ses mystères.

Grâce au talent collectif de photographes engagés, c’est la santé désastreuse d’une planète souillée et les entrailles d’une grande bleue polluée qu’il faut enfin songer à soigner. Pour Henri Eskenazi, artiste et « globe plongeur » averti, la photographie passe par une nécessaire sauvagerie. La mer, qu’on voit rancir ? Triste réalité. En nous offrant des portraits d’animaux marins sublimés par un noir et blanc pertinent, ce dernier appelle à la vigilance et au respect d’espèces suffisamment éprouvées : cette murène grande gueule qui nous cloue le bec, ce lamantin qui nous émeut aussi sec, cet irrésistible manchot à jugulaire, ce symbolique ours blanc, ce poulpe tentaculaire, ces requins tranchants, ces baleines à (ca)bosses et autres raies manta dévastées. Comme pour mieux ancrer son propos, Henri Eskenazi propose, en parallèle, une série sur les vitraux de mer : expérience sous LSD, kaléidoscope subtilement maîtrisé, image et imaginaire partenaires d’un même projet… Ces trésors, venus de la nature, « mer » nourricière, ne manquent pas de nous époustoufler.

Un pan de mur plus loin, la vivacité revient. En se faisant les metteurs en scène d’un ballet sous-marin hors du commun, James Chevreuil et Dominique Louis livrent un travail d’une précision exceptionnelle et d’une couleur sans pareil. Nous assistons aux chorégraphies tantôt attendrissantes, tantôt impériales d’une faune pleine de vie, en mouvement constant. Seules ou en bancs, les créatures nous font respirer d’une autre façon, buller plus que de raison et même couler sans craindre pour nos poumons. De ces œuvres dignes d’un hors-série de National Geographic, il faut surtout se concentrer sur la leçon de quiétude qui y est donnée, sur cette faune enchanteresse que l’on regrette de ne pas mieux préserver, sur le message commun qui, chaque seconde, devient plus clair : ne privons pas ces merveilles de leur air.

Par ailleurs, l’exposition a la délicatesse de ne jamais noircir le trait et de présenter un éventail photographique très complet. Preuve en est avec la luminosité récurrente de Jean-Paul Cotte, qui s’est donné pour mission de transformer le décorum urbain en point de vue grandiosement azuréen. En s’armant de teintes pastel et de lignes graphico-géométriques (nous sommes comme catapultés dans l’esthétique du cinéaste Wes Anderson), le photographe nous rend fiers de nos volumes architecturaux locaux, des perspectives maritimes minimalistes qui jamais ne font défaut, des gabians qui prennent le temps de poser en toute décontraction, de cette poésie épurée des détails et de l’interprétation.

Toujours, nous allons de surprises en rebonds, avec la proposition d’une flore presque psychédélique de beauté ! L’œuvre de Cyril Dérobert a l’exotisme de transformer nos calanques ensoleillées (en l’occurrence, celles de la Côte Bleue), de mêler leur singularité à la rousseur d’un paysage québécois ou à l’or verdoyant d’une plaine écossaise. Ici, ça rougeoie, ça s’émousse, ça bouillonne et ça jaillit ! Cet océan rouge est un concentré d’énergie.

Qu’il s’agisse d’évoquer le rigoureux métier des scaphandriers et de soutenir, en apnée, leur va-et-vient en eaux troublées (Henri Delleuse), il réside toujours un parfum d’épopée. C’est un combat fièrement mené aussi, que l’on découvre, tout en bichromie, dans la série de Mathias Caumont. Objectif de renom pour se dépêtrer des boues rouges, un fléau environnemental asphyxiant le littoral. Un filtre sanguinaire, des visages hurlant leur colère, une attention toute particulière à la lumière… Les éléments photographiés de cette protection maritime organisée ont tous été joliment soignés.

Parce qu’ils savent rendre l’évidence plus rare ou plus percutante qu’à l’accoutumée, les artistes réunis autour de l’exposition Sea Up and Down nous rendent « profondément » sensibles et conscients. En utilisant leur talent comme une arme de création immersive, ils ont relevé un énième défi. Plongeon réu-sea.

 

Pauline Puaux

 

Sea Up and Down : Jusqu’au 3/03 à la Maison Buon (84-86 rue Grignan, 6e).
Rens. : www.maisonbuon.com