Salon – Festival International de Musique de Chambre de Provence 2021

Château Fort

 

Sûr de ses fondations, confiant en l’accord intime qui a construit son identité, le Festival international de musique de chambre de Salon-de-Provence, parce qu’il sait « qui » il est, fait fête à l’altérité. Partout chez lui dans le domaine musical, il aime à y projeter des lumières inattendues. Sa vingt-neuvième édition propose une programmation de l’ouverture et de l’alliance. Le secret des longues fidélités.

 

 

Dans le contexte actuel, plus qu’une mise en doigts, le premier concert témoigne d’un engagement. Les accents colorés des Visions de l’Amen pour deux pianos qu’Olivier Messiaen compose en 1943 dans une France défaite manifesteront, à l’instigation du Duo Petrouchka, l’assurance qu’une promesse aura prévalu. Un acte de foi dans la musique, à sa place, au Conservatoire d’Aix-en-Provence (le 29/07).

Autre duo de piano attendu, les retrouvailles d’Éric Le Sage et Franck Braley se célébreront dans les résonances tranquilles de l’Abbaye de Sainte Croix en deux concerts miroirs (Éric et Franck à 12h, Franck et Éric à 15h). Même en inversant l’ordre des termes, s’égalent ce qui est donné et ce qui est reçu : confiance, mutualité et partage (le 30/07). Un bonheur.

 

El condor pasa

 

Le lendemain (31/07) au Château de l’Empéri, tous deux se joindront au quatuor de saxophones Ellipsos, au Patagonia Express Trio et au bandonéoniste William Sabatier pour un hommage à Astor Piazzolla dont on fête le centième anniversaire de la naissance et, plus largement, parcourir ensemble des œuvres de hautes altitudes et de même ramage. Le 1er août, nous serons en compagnie des mêmes oiseaux rares avec, dans le rétroviseur du tango nuevo, la guest-star Anton Dvořak qui fit, on le sait, le voyage du Nouveau Monde. Son quatuor Opus 87, créé à Prague en 1890, alterne l’énergie jubilatoire et le charme insinuant d’un romantique captivé par les danses paysannes. Un contrepoint éclairant.

Toujours sur la cordillère de l’Empéri, le 2 août, une courte pièce instrumentale, Fuga et Misterio, extraite d’un opéra d’Astor Piazzolla où fusionnent les influences qui n’ont jamais cessé de stimuler le phénix argentin, servira d’introduction au concert du soir. En continuation, Berlioz, Gershwin, Ravel… feront apparaître les syncrétismes de leur temps et le pianiste Orlando Bass la création qu’il a réservée pour le festival 2021. Ces variations chronologiques et stylistiques perpétuelles finissent par séparer ce qui importe au fond, de ce qui peut être tenu pour secondaire. L’essentiel transfigure les choses les plus simples : l’habileté de l’instrumentiste, l’épanchement communicatif de l’interprète, la liberté qui est échue aux artistes et dont tous nous rendent compte ici.

 

 

Les petits maîtres

 

Outre relever les affinités entre des modes d’expressions variés, les fines antennes que les trois complices Éric Le Sage, Paul Meyer et Emmanuel Pahud déploient sur le répertoire possèdent une autre vertu, celle de repérer puis de soumettre à notre sensibilité des compositeurs, parfois choyés en leur temps, mais éclipsés aujourd’hui derrière la masse opaque des géants de la musique : Johann Hummel dans l’ombre de Beethoven, Dohnanyi Ernö dans celle de Bartok (le 3/08) et d’autres encore à découvrir dans la suite de la programmation. En peinture, on les appelle des petits maîtres. Condescendant ou affectueux, le terme peine pourtant à traduire ce que chaque artiste a d’unique et d’irréductible dans la constellation éphémère de l’art vivant où s’épanouit l’esprit d’une époque. La fortune critique a ses phases. Cependant chacun peut s’affranchir de l’illusion rétrospective de la fatalité surtout s’il est éclairé par les concerts de Salon. On y découvre des pépites savoureuses et des perles rares mises en valeur par des experts, avec simplicité, souvent une touche d’humour, deux ruses de l’intelligence quand elle entreprend de séduire.

Le festival se terminera, le 7 août, autour de la Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson (1898) qui réunira les flûtistes Eren Denizcan et Emmanuel Pahud, la soprano Marina Viotti, le pianiste Éric Le Sage et le Quatuor Mona. La beauté crépusculaire de l’une des ultimes œuvres du petit maître français jettera ses derniers feux sur l’Empéri, comme sur un théâtre antique, avant de s’éteindre avec les dernières mesures d’un solo d’alto, tragique à faire pleurer les pierres du château. Vous voilà prévenus.

 

Roland Yvanez

 

Salon – Festival International de Musique de Chambre de Provence : du 29/07 au 7/08 au Château de l’Empéri.

Rens. : www.festival-salon.fr