Retour sur les années 90

Retour sur les années 90

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Smells like 90’s spirit

Gonzales, Jon Spencer, Dj Shadow, pApAs fritAs, Elysian Fields, Shellac… La prochaine quinzaine voit débarquer à Marseille quelques anciennes gloires des années 90. L’occasion pour notre rédaction, dont les membres ont (presque) tous eu vingt ans à l’époque, de revenir sur une incroyable décennie, qui aura écrit parmi les plus belles partitions des musiques actuelles.

Après une décennie insouciante et « bling bling », marquée par l’avènement des golden boys, des brushings et des épaulettes, les 90’s déchantent. Les adolescents et jeunes adultes de l’époque, biberonnés à la télévision, constituent la première génération à vivre avec le sida. Le plein emploi n’est plus qu’un fantasme inaccessible, la guerre fait des ravages aux quatre coins de la planète et le communisme s’est effondré avec le mur de Berlin, faisant du libéralisme la seule alternative politico-économique possible — du moins aux yeux des « grands » de ce monde.
Et si c’est Mylène Farmer qui l’a chantée, une grande partie des mouvements musicaux émergeants de l’époque incarnent cette génération désenchantée. A commencer par le grunge, et ce qui restera comme l’un des albums emblématiques de la décennie : Nevermind de Nirvana. Traduisez : rien à foutre. La jeunesse se retrouve dans les paroles désabusées de Kurt Cobain ou d’Eddie Vedder (Pear Jam), et le mouvement atteint son apogée en 1994 avec la mort du premier. Sale ironie. Au nihilisme de la scène de Seattle répond l’engagement de la jeunesse californienne, symbolisé par l’hymne de Rage Against the Machine, Killing in the name of — qui sera par ailleurs l’une des principales influences du son neo metal, avec Korn en porte-étendard. Et si l’origine de la fusion, alors principalement incarnée par R.A.T.M. et les Red Hot Chili Peppers, est aussi vieille que le rock’n’roll (qui mariait déjà country et rythm’n’blues), le genre n’atteindra son apogée qu’avec les 90’s.
Tout comme le hip-hop, qui connaît son âge d’or à la même période. Marqué par la terrible rivalité entre la East Coast du label de Puff Daddy (Bad Boy) et la West Coast de la maison Death Row (Snoop Doggy Dogg, Dr. Dre) — qui finira tragiquement avec les décès de 2Pac et Notorious B.I.G. —, le hip-hop acquiert ses lettres de noblesse. Difficile de nommer tous les groupes américains ayant apporté leur pierre à l’édifice ; on se contentera donc, avec toute la mauvaise foi qui nous caractérise, de n’en retenir que trois : Public Enemy, le Wu Tang Clan et les blancs-becs Beastie Boys. De l’autre côté de l’Atlantique aussi, le hip-hop connaît enfin le succès, à la fois critique et public, notamment en France avec Assassin, IAM et NTM. Outre-Manche, c’est l’Américain Dj Shadow qui fait des émules : avec Endtroducing (1996), premier album uniquement constitué de samples, l’éminence grise de l’abstract hip-hop ouvre la voie aux expérimentateurs sonores de tous bords. Les musiques électroniques, dont l’émergence a sans doute été favorisée par la démocratisation des ordinateurs domestiques, s’invitent désormais dans tous les styles, pour le meilleur (trip-hop) et pour le pire (eurodance). Portés par des labels exigeants (Mo’Wax, Warp, Ninja Tunes), l’Angleterre tient alors le haut du pavé, à quelques exceptions frenchies près (Laurent Garnier, Daft Punk…). Mélangeant techno, rock, hip-hop et acid house, le big beat de Prodigy ou des Chemical Brothers fait des ravages sur les scènes européennes, à l’instar du mouvement drum and bass / jungle (Roni Size, Goldie). Le trip-hop — genre inclassable par excellence, aussi bien influencé par la soul et le jazz que l’électro et le dub — fait quant à lui, dans la foulée du succès de Massive Attack et Portishead, planer la jeunesse.
Nos voisins britanniques n’en oublient pas pour autant leurs classiques, réinventant toujours et encore la pop. Ainsi, en réponse au rock indé américain (Pixies, Sonic Youth, Pavement…), les Anglais font lanciner leurs guitares (le mouvement shoegazing, avec My Bloody Valentine, Ride…), avant de revisiter leur patrimoine musical via la britpop, quand les intellos chicagoans se repaissent de post-rock (Slint, Tortoise). Caractérisée un temps par la guéguerre Oasis vs Blur (indubitable vainqueur selon nous), la britpop, faisant primer la mélodie sur le rythme, aura vu émerger une flopée d’artistes marquants, de Pulp à Divine Comedy en passant par Radiohead — qui attendra tout de même de se défaire de son étiquette, avec OK Computer (1997), pour connaître le succès que l’on sait.
Et si la décennie restera dans les mémoires comme l’époque des boys bands et de l’eurodance (que les Américains découvrent à peine), elle aura également permis, par-delà les genres et les nationalités, l’éclosion d’artistes encore majeurs aujourd’hui (P.J. Harvey, Godspeed You! Black Emperor et les Canadiens du label Constellation…). Nevermind, mais pas No Future !

CC