Conférence de Choses de la compagnie 2b © Agnès Mellon

Retour sur le Festival Parallèle

Vents contraires

 

Comme une bourrasque, rapide et saisissante, le sixième opus du festival Parallèle s’est achevé à Marseille, nous décoiffant au passage.

 

Depuis six éditions maintenant, le festival Parallèle, instigué par Lou Colombani et son équipe, s’attache à faire émerger les jeunes talents de la création contemporaine issus de France et d’ailleurs. La programmation, qui se voulait multiple et éparse, a dessiné la carte d’un paysage polymorphe, teinté de thèmes hétéroclites : le mysticisme, la rhétorique politique, le colonialisme, la comédie… Portraiturant un monde à géométrie variable, comme nous le titrions dans le numéro précédent, les propositions se sont enchainées sur les scènes marseillaises et à Aix, différentes tant par leur contenu que leur forme, laissant des impressions inégales. En effet, on regrettera que certaines n’aient atteint que partiellement leur but, la faute au décalage entre l’idée et son exposition, car c’est du côté des nouvelles modalités pour penser le théâtre contemporain et de la réflexion sur ce qu’il met en jeu que se situe ce festival exigeant et authentique dans sa volonté de rendre compte de la pluralité de la création.
Ainsi, Margin Release de la Grecque Lenio Kaklea fut lu comme un objet pour le moins obscur — ce que son auteur avoue et assume volontiers — jouant sur la tentative d’exprimer « ce qu’on ne veut pas dire ». Ventriloquie absconse, regards graves, corps tendus, larsens, contours dessinés… Difficile de faire sens de ce que le plateau nous livrait, la partition ressemblant plus à une esquisse qu’à un travail abouti.
S’ensuivit la géniale Conférence de Choses de la compagnie suisse 2b, par l’entremise de François Grémaud et opérée par Pierre Mifsud, immense acteur qui nous avait déjà ravis l’an dernier par ses digressions sans fin. Renouvelant l’exercice en un temps plus court et tirant le fil de sa logorrhée d’un autre point de départ, il aurait pu nous garder des heures avec lui, jouant avec art du contraste de l’à-propos, du va-et-vient… Son élocution de grande qualité, qui fait se percuter images et mots jusqu’au délire tout en laissant une grande liberté de subjectivité au spectateur, fut un hors-d’œuvre savoureusement apprécié, et le public d’être fin prêt à déguster les discours servis ensuite par Sanja Mitrovic et son acolyte Jorre Vandenbussche dans Speak!
Les deux interprètes de Speak! se livrèrent à un combat de rhétorique à travers les mots de politiques et orateurs célèbres. Le public avait pour mission de voter pour leur discours préféré avant que leur auteur soit révélé. Fort heureusement, l’histoire ne fut pas réécrite et Churchill vainquit Hitler, tandis que Vaclav Havel et Gandhi l’emportèrent sur la dame de fer Margaret Thatcher. De cet exercice naît une réflexion sur la puissance séductrice de la parole et de son incarnation ; or, le fait que le spectacle soit surtitré et que le spectateur doive lire les discours introduit un niveau d’analyse qui annule un peu la finalité du spectacle, par ailleurs bien construit et scénographié.
Le lendemain, la soirée 2 de l’événement se déroulait au théâtre de la Joliette-Minoterie. L’occasion de découvrir le travail de Sandra Iché, historienne, danseuse et chorégraphe, travaillant depuis plusieurs années entre la France et le Liban. La compagnie Wagons Libres et le spectacle éponyme présentèrent des entretiens avec les membres de la revue francophone L’Orient Express. Ces témoignages anticipatoires, puisque le parti pris était qu’ils s’expriment comme s’ils étaient en 2030, donnent lieu à une réflexion intéressante sur l’époque actuelle (« Il n’y a pas de gauche arabe, donc pas de clivage droite/gauche ») et des spéculations cocasses sur le futur : les Chinois revendiquant eux aussi la terre promise, la Palestine déportée au Canada, les appartements vides des colonies israéliennes vendus aux Palestiniens, des ruisseaux d’huile d’olive, un aménagement de la vie souterraine pour ne point fouler la terre sacrée, une orange géante qui descend du ciel pour se presser, etc. Les visuels, vidéos et diapositives se juxtaposent, renforçant l’abstraction, tandis que Sandra Iché, seule sur scène, étaye son récit d’histoires personnelles et de saillies chorégraphiques. On aurait aimé plus de moments comme celui où elle entonne la chanson sur le temps béni des colonies de Michel Sardou et où elle sort de son rôle de conférencière, résumant un nauséabond état d’esprit bien français avec un humour fin et néanmoins ravageur. Son théâtre documentaire prophétique reste tout de même passionnant de bout en bout par la variété et l’entrecroisement des thèmes, des personnages et des données historiques qu’elle manie avec engagement.
Puis vînt la création d’Arnaud Saury, En dépit de la distance qui nous sépare, s’intéressant aux figures des mystiques et de l’extase. Au début, les trois interprètes semblent montrer une parodie de la condition humaine à l’aide d’une boîte de conserve et de haricots. Ensuite, ils jouent ensemble à un jeu de leur invention, dont les règles ne sont pas tout à fait perceptibles. Une des répliques résume bien notre sentiment : « C’est mignon. – Oui mais ça n’a rien à voir. »
Le troisième soir, au Conservatoire, Bettina Attala, de la compagnie Grand Magasin, forte de sa lecture de la Bible de la comédie de Judy Carter, s’appliqua à déconstruire les règles du comique, dans son Stand up comédie. L’ancienne mauvaise factrice, selon ses dires, blague sur le théâtre contemporain, dresse la liste des mots qu’elle trouve drôles, évoque les cours de sitcom qu’elle a pris à Los Angeles, nous montre les logiciels qu’elle a créés (un jeu de rôle pour se mettre dans la peau d’un artiste de stand up en devenir, un générateur d’idées combinant culture classique et populaire générant par exemple l’idée d’une sitcom sur Gilles Deleuze). Sa contenance un brin fébrile paraît être une signature et l’originalité de sa démarche, même si un peu anecdotique, amène un vent de fraîcheur salvateur.
Moment fort du festival, le samedi au Merlan proposait deux créations sans lien aucun. D’un côté, Le Pas de Bême, belle surprise à l’esthétique en marge, sans chichis, modeste par la forme : un texte, un public installé autour de l’espace de jeu, un éclairage de salle et trois comédiens qui déroulent l’histoire d’un élève brillant, mais qui ne rend plus que des feuilles blanches à ses examens, soulevant ainsi dans son entourage de nombreux bouleversements philosophiques. Maud Blandel enchaîna ensuite dans la grande salle avec Touch Down, spectacle de danse qui fait le pont entre Le Sacre du Printemps et l’univers des pom-pom girls dans une forme spartiate résolument contemporaine. On y salue finalement plus la performance que la trame de fond, qui décontextualise cet étrange folklore propre aux stades américains et entend ainsi questionner les rapports entre le savant et le populaire.
Au final, une édition riche bien qu’en dents de scie, qui devait poursuivre sa trajectoire avec deux dates proposées à Arles, Le Chagrin de Caroline Guiela Nguyen, et à Cavaillon, Variations Orientalistes de la compagnie Wagons Libres.

Barbara Chossis (avec Olivier Puech et Jordan Saïsset)

 

Le Festival Parallèle se poursuit jusqu’au 5/02 à Arles et Cavaillon.
Rens. : 04 91 11 19 33 / www.festivalparallele.com