La Flûte Enchantée photo Christian Dresse
La Flûte Enchantée © Christian Dresse

Retour sur La Flûte Enchantée à l’Opéra de Marseille

La Flûte désEnchantée

 

Puissante énigme philosophique ou farce attrayante, on a beaucoup glosé sur cette féérie de Mozart qu’un enfant peut comprendre alors que certains esprits forts en cherchent encore la clé. Ainsi l’idée de faire de Tamino une sorte de Tintin au pays des merveilles se soutenait. Cependant les meilleures intentions n’exploitent pas forcément leur potentiel. Tout dépend de l’art avec lequel on leur donne vie et présence. Le décor, les costumes, la mise en situation des personnages (excepté quelques mimiques assez drôles) ont peiné à rendre le projet lisible à l’Opéra de Marseille. Les trois monolithes de carton-pâte figurant un espace extérieur, flanqués d’une tour médiévale n’offraient pas vraiment de séduction visuelle. Au second acte, le plateau s’hérissait d’un labyrinthe de colonnes bistres et d’échelles monochromes fuyant vers des perspectives paradoxales. Sa profondeur de champ, d’un effet énigmatique emprunté aux gravures de Piranèse, ne fut pas rentabilisée par la mise en scène de Numa Sadoul ; les chanteurs trop souvent cantonnés non loin de la rampe comme devant une toile de fond. Les costumes corsetés dans un symbolisme redondant participaient de cette peinture en grisaille. Il a manqué ce soir-là une vision scénographique, un souffle, l’amplitude d’une appropriation capable d’en transfigurer le récit, au lieu d’en souligner ses évidences, d’en enfoncer ses portes ouvertes, de révéler ses secrets de Polichinelle, avec un langage dramaturgique pléonasme de sa propre narration. Sans doute faudrait-il moins emboîter le pas à l’historiographie du livret et écouter davantage la musique, car là réside l’essence polysémique de l’œuvre, sans contenu figurable mais qui en contient toute la lyre des possibles, sans quoi le texte reste lettre morte. Là, dans ses rythmes, ses allures, ses nuances, dans la disposition des timbres, des registres et des ensembles se célèbrent les mystères orphiques d’initiation et de fécondité qui enchantent cette Flûte et dont l’intuition nous émeut tant.

 

Prima la musica

Heureusement, le plateau vocal en a garanti l’essentiel. L’orchestre n’a pas démérité non plus sans atteindre les hauteurs du Cosi fan Tutte de 2016, avec à sa tête un Lawrence Foster que l’on a connu plus incisif. Sur la scène, Zarastro, le hiératique Wenwei Zhang, basse caverneuse au médium moelleux et sonore, s’opposait à une Reine de la Nuit léonine (Serenad Uyar) très attendue dans les quelques écueils suraigus de son rôle qu’elle surmonta avec une aisance acérée. Cyril Dubois campait avec noblesse un Tamino au timbre franc pour lequel Anne-Catherine Gillet, en Pamina troublée, trouvait des lignes de chant modelées avec la sensualité d’un drapé sur le corps d’une nymphe timide. Un duo de charme sculpté dans un marbre pur. La dynamique Caroline Meng (Papagena) a bousculé ce cénacle quelque peu figé d’une touche de fraîcheur sarcastique, un rythme et une justesse de ton pétillante. Se faisant tour à tour rugueux, savoureux, émouvant, léger, le baryton de Philippe Estephe compensait une gestuelle buffa un brin embarrassée par des qualités expressives complètes.

Au final, des moments, certes pas inoubliables, mais pas sans agréments non plus, ont satisfait aux attentes d’un public prodigue de ses applaudissements.

S’il fut un réel dépassement de l’horizon prosaïque, on le doit aux enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône dont l’épiphanie des voix transparentes et flutées ré-enchantait la soirée à chacune de leurs apparitions.

 

Roland Yvanez

 

La Flûte Enchantée, livret de Emanuel Schikaneder, Direction Lawrence Foster et mise en scène Numa Sadoul, a été jouée à l’Opéra de Marseille les 26 et 29 septembre 2019 puis les 3 et 4 octobre derniers.

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