Retour sur La Fin de l’homme rouge par la Cie Bloc Opératoire

Homo Sovieticus

 

Emmanuel Meirieu met en scène avec finesse le roman La Fin de l’homme rouge de Svetlana Aleksievitch. Un texte puissant sous forme de témoignages porté par six acteurs habités, provoquant l’émotion et la réflexion pour raconter la Russie après la fin de l’URSS.

 

Svetlana Aleksievitch — prix Nobel de Littérature 2015 — a traversé l’URSS pour récolter des témoignages de la vie quotidienne dans cette époque. Elle en tire ce roman-essai racontant dans les détails la condition humaine dans les rouages de l’utopie meurtrière du système soviétique.

La projection en ouverture de la pièce montrant les exploits de Youri Gagarine dans l’espace laisse rêveurs les travailleurs et finit par se heurter à celles de l’explosion de Tchernobyl. Ces deux visions d’une même nation donnent le ton de la pièce. Des prises de paroles se succèdent. Témoignages d’une époque qui continue de faire fantasmer les uns et cauchemarder les autres.

La prise de parole des nostalgiques d’une époque, sous le témoignage, férocement convaincu, d’André Wilms, interpelle le spectateur. Comment rester croyant, quitte à passer pour un vieux fou, dans un système nourri par la violence, la dénonciation et la pensée unique ?

Lui comme d’autres ne parviendront pas à nouer une existence individualiste après le démantèlement du bloc soviétique. Incapables de s’adapter au capitalisme, « cette société où tout se vend, même les organes », certains choisissent de refuser le changement. C’est le choix d’Igor, qui se suicide à l’âge de quatorze ans.

Les récits traumatisés par la contrainte et la violence s’y opposent. Se raconte la monstruosité des hommes vue, entendue ou laissée faire pour nourrir un système dont les ressources provenaient de la conviction inébranlable de ses citoyens d’agir pour le bien de la nation.

Les témoignages des convaincus croisent ceux des opposants et des abandonnés de ce système.

Chaque récit est incarné et porté avec dignité. La puissance des textes délivre toute l’humanité — et parfois l’inhumanité — de ces hommes et femmes.

Il règne dans la salle une tension permanente ; le spectateur est plongé dans l’histoire d’individus dont l’individualité même a été niée par un système politique. Se raconter est d’autant plus une lutte permettant de mettre un point final sur une époque révolue.

 

Cécile Mathieu (avec NG)

 

La Fin de l’homme rouge par la Cie Bloc Opératoire était présenté du 8 au 19/10 au Théâtre La Criée.

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