Carmen (Opéra déplacé) © Vincent Beaume

Retour sur Carmen (Opéra déplacé) par la compagnie Attention Fragile et l’Ensemble Télémaque

Envie de bohème

 

En « déplaçant » Carmen, la compagnie Attention Fragile et l’Ensemble Télémaque offrent une nouvelle vie à l’opéra de Bizet.

 

À la lisière du Plan d’Aou et de Saint-Antoine, au Nord de Marseille, on n’a pas toujours vu du monde se presser un vendredi soir, si ce n’est quelques hommes en tuniques longues se dirigeant vers la mosquée. Alors pour un opéra… Et quel opéra ! De toute évidence, choisir Carmen, qui prend pour héroïne une sulfureuse jeune fille aux mœurs débridées, en ces quartiers dominés par le masculin, est tout sauf anodin. À peine installé dans ses nouveaux murs, voici que le ZEF — historiquement le Merlan, Scène nationale — ouvre sa saison et investit à juste titre la Gare Franche, ce lieu qui œuvre depuis quinze ans à la mixité culturelle au cœur de ce quartier populaire et dit « sensible ».

Ay, Carmen ! Son Oiseau de Bohême est sans doute l’un des airs les plus connus, mais on pourrait en dire tout autant de son prélude… On le voit, l’idée d’un opéra ainsi déplacé est culturellement parée de ses plus beaux atours et des meilleures intentions. Mais l’affaire ne s’arrête pas là — car la forme esthétique, que l’art concerne, n’est pas en reste. Dans une scénographie en petite arène, faite d’un bric-à-brac astucieux et forain, nous allons pendant plus de deux heures entourer Carmen mais aussi vagabonder avec elle dans de joyeux rebondissements organisés par Gilles Cailleau, maître d’œuvre d’une aventure qui a associé une quarantaine d’habitants voisins à la dramaturgie toute en surprises de ce Carmen. Les accents colorés de leurs interventions soulignent fort à propos la couleur formidable qu’on connaît à la partition de mezzo-soprano écrite par Bizet, tandis que la gouaille caractérisée de cet opéra au goût andalou trouve avec l’Ensemble Télémaque un soutien admirable, tout en élégance et en discrétion, dans une modernité bienvenue. Les deux compères — Raoul Lay pour la direction musicale et Gilles Cailleau pour la mise en scène — réussissent le pari d’une adaptation bienvenue, joyeuse et claire, d’un opéra qui renoue ainsi avec ses origines populaires, loin de l’élitisme qu’on lui prête en ce dernier siècle. En mêlant théâtre d’objets miniatures, inspirations circassiennes, fougueux chanteurs et chanteuses, ce Carmen (Opéra déplacé) est une rencontre artistique heureuse et gentiment voyou qui réussit à nous emmener tous, un spectacle qui fait lien et qui fait sens. Souhaitons lui donc belle route !

 

Joanna Selvidès

 

Carmen (Opéra déplacé) était présenté le 12/10 au ZEF – Usine de la Gare Franche.

À voir les 7 & 8/05/2020 au Théâtre des Salins (Martigues).

Pour en (sa)voir plus : www.attentionfragile.net