Retour sur Belgian rules / Belgium rules au Théâtre des Salins

Flambant Flamand

 

Jan Fabre a fait danser son royaume au Théâtre des Salins de Martigues. Deux représentations de Belgian rules / Belgium rules ont enchanté un public tenu en frénésie pendant presque quatre heures d’une formidable création. Des lois scandées frisent l’absurdité, mais la Belgique continue de faire régner sa vivacité…

 

Initialement prévu dans le cadre du festival ActOral, le spectacle du plasticien et metteur en scène fut déprogrammé suite aux plaintes pour harcèlement portées par des membres de sa troupe. Le comportement ne semble certes pas exemplaire, mais cette création l’est assurément. La Scène nationale de Martigues a du goût et fut bien inspirée de faire la part des choses en présentant le fruit de cet extraordinaire travail. Le provocateur est excessif, plus que grivois, comme d’autres génies avant lui, qui n’étaient pas des saints non plus…

Au fil de quatorze chapitres où les tableaux vivants se succèdent, oscillant entre le grotesque et la procession, l’ode à la Belgique conçue et dirigée par Jan Fabre sur des textes de Johan de Boose nous emporte au-delà des préjugés et des frontière, dans un rythme parfois survolté en saccades.

C’est une admirable prouesse physique à laquelle se livrent les acteurs-danseurs de la compagnie Troubleyn, en parfaite synchronisation chorégraphique, dans cette folie poétique polyglotte où de multiples références aux peintres du plat pays s’incarnent. Bosch, Bruegel l’Ancien, Delvaux, Ensor, Khnopff, Magritte, Rubens, Van Eyck… sans oublier Félicien Rops, qui doit se marrer dans sa tombe en sachant que son aquarelle Pornokratès, devenue une icône qui prône la suprématie de la vie sur les idées, prend corps : une femme à demi nue, gantée de noir, aux yeux bandés, conduite par un cochon, traverse la scène comme un pied de nez à la bonne société… La frite gouverne le pays. Gare à celui qui n’ira pas saluer le Manneken Pis au moins une fois par mois !

Le talent et le souffle des comédiens s’avèrent inouïs, ainsi que les costumes excentriques qui couvrent et découvrent leur nudité : un jeu qui nous délivre du mal et nous emmène dans un décor aliénant l’homme et la bête. Des pigeons (dont les masques et tuniques sortent tout droit de l’univers boschien) roucoulent, se font rouer de coups et deviennent finalement d’illustres personnages, chats et squelettes en suspension tombent du ciel… L’histoire se compose et se décompose via un hérisson présentateur au double visage — piquant en surface et doux en dedans, à l’image des Belges — autour des failles, des règles imposées et des aptitudes festives enracinées dans l’âme de ce peuple. Les faces obscures (fabrique d’armes, passé colonial, scandales pédophiles…) grimacent dans un carnaval de cyclisme, de footeux, de bières qui moussent à gogo, font pisser et roter, de tabagisme et de sexualité débridée, sur fond de fumigènes qui ouvrent des pistes sur les planches. On apprend et on comprend beaucoup. L’épisode de 1917, par exemple, qui a vu des soldats réduits en bouillie par le gaz moutarde, « l’exploit » plus récent des 541 jours sans gouvernement… La mort, omniprésente, finit par engendrer un hymne à la vie, des drapeaux bruissent et clôturent en paix ce spectacle exubérant.

 

Marika Nanquette & Zac Maza

 

Belgian rules / Belgium rules était présenté les 12 & 13/04 au Théâtre des Salins (Martigues).