Retour Orekhov par la Cie Ainsi de suite

Le Soviet tique

 

Orekhov ? Tout simplement le meilleur officier du KGB en cette année 1973. Tellement performant qu’on le charge de surveiller le plus célèbre des dissidents, le grand Soljenitsyne. Contre toute attente, c’est à la lecture de L’Archipel du Goulag que le terrible agent Orekhov deviendra Victor, opposant d’un régime qu’il servait jusque-là avec zèle. C’est cette invraisemblable histoire que nous livre la compagnie aixoise Ainsi de Suite dans les murs de son théâtre du lycée Saint Eloi.

 

 

Une heure et demie n’est pas de trop pour retracer l’incroyable destin de Victor Orekhov, raconté à l’origine par le journaliste Nicolas Jallot dans son documentaire Un dissident au KGB. Voilà un brillant agent du KGB dans cette Union Soviétique sclérosée des années 70. Son rôle au sein de l’organisation ? Empêcher à tout prix la diffusion et le passage à l’Ouest de L’Archipel du Goulag, grand œuvre de Soljenitsyne. Mais tout bascule lorsque le zélé Orekhov en commence la lecture. Quelque chose se fracture dans cet être rigide, tout entier dédié à sa terrible mission : préserver coûte que coûte la survie d’un régime paranoïaque et confinant les comportements à l’absurde. Dans les froids bureaux de la Loubianka, tout le monde soupçonne tout le monde et chacun est sur écoute. On pense alors au film La Vie des autres. Mention spéciale au second d’Orekhov, un grand échalas bouffi d’ambition qui finira à la place du chef, bien entendu. C’est en infiltrant une soirée dissidente dans un cabaret de fortune que l’on fait lire à Orekhov une page de cet ouvrage honni qui doit disparaitre. Ébranlé dans ses certitudes, l’inflexible agent glisse peu à peu vers la dissidence, et bien sûr l’amour s’en mêle… Mais la sentence n’en sera que plus lourde : c’est le goulag qui l’attend, puis une vie d’exil aux États-Unis. Où Nicolas Jallot l’a retrouvé et en a tiré la matière du documentaire qui lui est dédié.

Porté par une belle troupe de comédiens, dont la voix aux accents russes de Dasha Baskakova, rythmant de ses chants tantôt les folles soirées de la dissidence tantôt les descentes du KGB, on ressent tout le pouvoir des mots, capables d’enfermer comme de libérer. Et dans le rôle d’Orekhov, Jacques Maury livre une interprétation puissante et en nuances, dans ces moments où il n’appartient déjà plus intellectuellement au KGB mais souffre du soupçon des dissidents envers ses réelles intentions.

Décors, costumes et musiques concourent à recréer cette ambiance si particulière, où l’on passe du portrait de Staline à celui de Soljenitsyne, des joyeux cabarets aux bureaux glaçants du KGB.

Concluons sur ces mots du grand auteur à propos de ce qu’est un dissident : « C’est un fou qui a appris à penser par lui-même et met en péril le paradis socialiste. » On peut en effet se poser la question, comme Orekhov lorsqu’il est découvert : « Qui est fou ? » E

 

Amélie Falco

 

Orekhov par la Cie Ainsi de suite était présenté le 3 décembre au Théâtre Ainsi de Suite.

Rens. : www.ainsidesuite.com