Regards Migrants © Bruno Fert

Regards Migrants à la Salle des Machines

Migrant Angle

 

Entre photographies et textes poétiques, l’exposition Regards Migrants, présentée à la Friche par l’association Le Chêne et les Villages Clubs du Soleil, mêle réalité et rêves de réfugiés. Sous forme de témoignages critiques et poignants sur la déshumanisation subie par les personnes sans-papiers, Regards Migrants nous invite à ouvrir les yeux.

 

Tout commence avec Alex Nicola, le Président des Villages Clubs du Soleil, frappé par l’accueil réservé aux migrants à Calais. Ce passionné de photojournalisme raconte : « Ces dernières années, la photo m’a renvoyé avec violence le drame que vivent les migrants sur tous les continents. Comment peut-on ne pas réagir face à ces cohortes de désespérés fuyant les guerres, l’insécurité, la famine… ? » Ne se contentant pas de poser la question, Alex Nicola décide d’agir en mettant à disposition des réfugiés son village de vacances situé à Chandourène. Ce qui ne manquera pas de susciter de vives réactions de la part de riverains hostiles à cette initiative. Caillassage de bus, manifestations à l’entrée du village… la peur et le rejet de l’autre s’exprimeront de la pire des manières, jusqu’à la fermeture forcée du centre d’accueil improvisé.

Alex Nicola décide alors de ne pas en rester là et sollicite le photographe marseillais Matthieu Parent, qui immortalise sur papier glacé ces personnes déracinées et dont nul ne veut. Devenu le véritable porteur du projet, le jeune photographe s’y investit avec profondeur et détermination, partageant cette réflexion avec d’autres artistes qui participent à l’exposition.

Parmi eux, le Suisse Jean Revillard, malheureusement décédé en janvier, laisse un héritage artistique à travers sa série Jungle. L’on y retrouve les abris de fortunes des migrants, construits à l’aide de bâches, de cartons ou de branches, dans les forêts et terrains vagues du Nord de la France. La solitude et le retrait subis par ces personnes de courage sont palpables grâce à l’œil du photographe.

Artiste engagé lui aussi, Bruno Fert propose des clichés oscillant entre portraits et lieux habités par les sans-papiers, sous un angle à la fois sociologique et psychologique. Il raconte ainsi « ce qu’est l’exil et la migration en insistant sur l’étonnante capacité de l’humain, qu’il soit nomade ou sédentaire, à habiter le lieu où il vit », qu’importe la durée ou les conditions. Au-delà d’une vie en suspens, vécue dans la pénibilité et les situations temporaires, Bruno Fert a voulu rapporter les rêves, les traditions et les personnalités de ces personnes que l’on réduit au terme de « migrants ».

Le jeune Afghan Abdul Saboor se sert quant à lui de son art pour mettre en lumière les conditions de vie indignes des migrants, vues de l’intérieur. À Belgrade, il vivait dans un bidonville où il a été choqué par les installations extrêmement précaires dans lesquelles vivaient un millier de réfugiés. Abdul fuyait alors l’Afghanistan, où il était menacé de mort par les taliban. L’Europe était son salut, mais il ne se doutait pas que le sort des exilés était à ce point dénué de toute considération.

La poésie a également toute sa place dans cette exposition collective, permettant de retranscrire le cheminement douloureux d’un réfugié qui continue à traîner, malgré lui, les bribes d’un passé lourd et encore vif.

En témoignent les textes du poète et journaliste soudanais Moneim Rahama. Ce défenseur des droits de l’homme questionne, notamment dans son poème Demandeur d’asile, la place donnée aux migrants ainsi que leur liberté déchue sur un sol dont ils ne sont pas originaires. Les frontières ne sont pas seulement des lignes créées par l’homme, mais des « mises à mort » pour ces sans-papiers qui fuient leur pays non pas par gaité de cœur, mais contraints dans l’âme.

Également originaire du Soudan, le poète Mohamed Nour Wana est arrivé en France après un périple au Tchad et en Libye. Il se définit comme un homme multiculturel et a appris différents dialectes et traditions avec l’ouverture d’esprit digne d’un artiste à part entière. Sa poésie se nourrit des épreuves qui l’ont construit, des personnages rencontrés sur sa route et de la liberté qu’il n’a jamais cessé de convoiter. Dans Adieu Maman, il revient sur cette vie laissée derrière lui, sur les espoirs d’une mère pour la vie future de son fils, sur les désillusions et la douleur lancinante. Mohamed Nour Wana publiera prochainement son livre Au cœur de l’asile, mêlant témoignages et poèmes retraçant son parcours.

Regards Migrants, ou comment la valeur d’un homme ne se résume pas au pays qui l’a vu naître.

 

Saïda Boulkaddid

 

Regards Migrants : jusqu’au 3/03 à la Salle des Machines (Friche La Belle de Mai – 41 rue Jobin, 3e).

Rens. : www.lafriche.org