Prendre la porte et faire le mur au FRAC PACA

Prendre la porte et faire le mur au FRAC PACA

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EXPlOration

Avant sa réouverture (prévue en 2012) dans un nouvel édifice, le FRAC prend la porte et fait le mur. Commissaire invitée, Florence Ostende propose une réflexion sur la nature et les enjeux de l’exposition à partir d’œuvres de la collection et de pièces produites ou empruntées pour l’occasion.

Florence Ostende souligne le paradoxe suivant : « On parle peu de la façon dont les choses sont montrées, or, plus on s’intéresse à l’exposition, plus on entre dans l’œuvre. » La carte blanche qui lui est offerte, dans un parcours qui procède avec harmonie et malice, offre d’emblée une volonté de défricher ou de repenser les frontières habituelles entre l’objet et son espace d’exposition (1) et, ce, sur le mode onirique, ludique, poétique…
Le ton est donné dès l’entrée avec une missive rédigée par l’artiste Simon Dybbroe Møller : « Ceci met fin à tous les accords que nous avons passés ». Mais de quels accords parle-t-on ? Des fondements mêmes de l’exposition : un lieu ordonné, régi par des règles et qui impose un sens de lecture, un cadre. Le film de Rosalind Nashashibi et Lucy Skaer s’ouvre comme un rêve de possibles, de fictions, qui n’est pas sans évoquer la notion de « Musée imaginaire » chère à Malraux (2). C’est aussi ce qu’interroge la « galerie mentale » de Dybbroe Møller (Brain I), un labyrinthe aux parois translucides. Dans ce mini-musée sentimental, tout flotte ; un jeu entre transparence et opacité s’instaure, recto et verso dialoguent en dévoilant la part d’impasse en toute création. C’est donc le questionnement du processus qui prime ici. Chloé Quenum transcrit le mystère qu’implique la monstration au sein d’une de ses deux installations, Vice Versa : un caisson de plexiglas contenant 92 feuilles (collages de documents et d’archives retravaillés ou imprimés) qui symbolisent les jours ouvrables. C’est à l’équipe du FRAC que reviendra la charge d’opérer quotidiennement « un strip-tease visuel » en détachant un à un les éléments qui s’accumuleront au sol dans la vitrine.
Tandis que les démarches d’Alain Rivière et d’Alain Bublex mettent en avant des simulations d’exposition souvent miniaturisées, Catrin Bolt, Saâdane Afif et Michel Verjux détournent l’architecture muséale sous différents éclairages. Philippe Parreno et Dora Garcia relatent quant à eux des témoignages, l’un ayant recours à un vocabulaire émotionnel (très éloigné du jargon des critiques d’art), l’autre faisant du public présent l’acteur central de la production elle-même. Si pour Michel Leiris, « rien ne paraît ressembler autant à un bordel qu’un musée », réjouissons-nous de cette déconstruction de l’approche curatoriale qui nous permet de revisiter le lien entre lieu, objet, perception et discours.

Texte : NB/MNQ
Photos : Jean-Christophe Lett

Prendre la porte et faire le mur : jusqu’au 11/12 au Fonds Régional d’Art Contemporain Provence-Alpes-Côte d’Azur (1 place Francis Chirat, 2e). Rens. 04 91 91 27 55/ www.fracpaca.org


L’Interview : Pascal Neveux

Le directeur du Fonds Régional d’Art Contemporain revient avec nous sur le passé, le présent et l’avenir de l’institution, deux ans avant le grand déménagement et le lancement de Marseille Provence 2013.

Pascal-Neveux.jpgLe FRAC, le MAC…on s’y perd ! Pouvez-vous nous éclairer ?
A leur création en 1982, les deux rôles initiaux des FRAC s’inscrivaient vraiment dans le cadre des lois de la décentralisation. Il y avait une préoccupation territoriale : l’idée première était d’y constituer des viviers d’art contemporain, de se placer sur une dynamique prospective et internationale puisque auparavant, seuls trois ou quatre musées d’art contemporain existaient en France dans quelques capitales régionales (Saint-Etienne, Nantes, Bordeaux) et que les offres culturelles s’avéraient extrêmement déficientes. La deuxième mission fondatrice consistait à sensibiliser les publics, à les amener vers ces collections qui iraient également à leur rencontre. Et justement, l’originalité principale par rapport aux musées réside dans cette dimension nomade. Trente ans après, c’est radicalement différent, parce que se sont rajoutées d’autres missions en termes de production, d’édition, d’accompagnement, de résidence ; la dimension « exposition » s’est largement affirmée. Certes, la structure hybride des FRAC la rend difficile à appréhender, mais il s’agit d’un pari sur l’avenir et d’une part d’expérimentation revendiquée, sachant que le choix des artistes et la programmation sont défendus par le directeur. Car même si les missions sont similaires dans toutes les régions, la façon dont on les exploite et dont on les met en œuvre repose totalement sur la personnalité de chaque directeur, choisi en fonction du projet artistique et culturel qu’il soumet.
En revanche, la politique d’achat est gérée par des comités techniques d’acquisition composés d’experts de l’art contemporain (à la tête de musées, d’écoles ou de centres d’art, philosophes, critiques d’art). C’est le responsable du FRAC qui défend, tous les trois ans, ces propositions devant le Conseil d’Administration.

En quoi le FRAC de Marseille est-il particulier ?
Avant 2006, il s’agissait d’une collection très variée (au niveau des médiums) et de grande qualité, avec des artistes de la scène mondiale connus aujourd’hui. Depuis, les achats et les manifestations ont fortement été orientés autour du bassin méditerranéen. Sa particularité est d’être en osmose, en réflexion avec l’identité de la ville, son histoire et le fait que Marseille s’ouvre sur toute la Méditerranée, la collection rendant compte de cet éventail.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet de Kengo Kuma, architecte du futur édifice ?
Suite au concours international, il est le seul à avoir répondu à 100 % au cahier des charges : 5000 m² composés de plusieurs plateaux d’exposition, bassin, terrasse urbaine, restaurant, librairie. Le centre de documentation (ciblé sur le fonds comprenant des donations sur l’histoire de la performance et des livres d’artistes) affirmera fortement la dimension de recherches favorisant les étudiants. Plateforme, pôle de ressources, cette belle vitrine permettra de consolider la diffusion en région. Il faut savoir que pour trois expositions par an au sein de la structure, 90 % de l’activité se situe hors les murs (Education Nationale, hôpitaux, services pénitentiaires, centres d’art, galeries…).
Son bâtiment reflète l’attachement que Kuma, par tradition, a su cultiver entre artistes et architectes. Très technique, fonctionnel, sans artifice, son seul geste esthétique réside dans la façade qui se lit comme une double peau de verres, rythmée de zones opaques, transparentes, translucides… La libre circulation entre le paysage intérieur et extérieur répond au souhait que nous avons de conserver un esprit convivial. Enfin, ce FRAC sera le seul situé en hypercentre (avec accès immédiat au métro, bus, tram).

Qu’en est-il des qualités et des faiblesses de Marseille sur le plan culturel ?
Le meilleur atout est indéniablement son tissu associatif et son implication alors que les moyens sont très précaires. La faiblesse, c’est sa dynamique institutionnelle, muséale, insuffisamment forte, lisible. Les structures sont présentes mais les financements ne sont pas à la hauteur. Marseille, qui possède un patrimoine incroyable, n’a pas compris — ou très tardivement — que la culture était un vecteur de développement économique et d’image. On vit actuellement une situation complexe : un potentiel et un gâchis énormes !

Pour vous, Marseille Provence 2013 c’est…
Evidemment une concordance de temps qui est le fruit du hasard entre la livraison du nouveau bâtiment et la capitale culturelle. Le FRAC a été un élément clé dans la candidature (quand bien même son projet était antérieur) et sera un acteur très mobilisé qui proposera une programmation spécifique pour l’ensemble du territoire. En somme, pour nous 2013, c’est la cerise sur le gâteau !

Propos recueillis par Nathalie Boisson et Marika Nanquette-Querette.

Notes
  1. Avec son musée portatif (La boîte en valise, 1936-41), Marcel Duchamp avait, bien sûr, déjà contribué à cette approche.[]
  2. « J’appelle Musée imaginaire la totalité de ce que les gens peuvent connaître aujourd’hui même en n’étant pas dans un musée, c’est-à-dire ce qu’ils connaissent par la reproduction. » (1947[]