Tarek Abdallah

Portrait : Tarek Abdallah

Cordes sensibles

Loin du bruit du monde, Tarek Abdallah vit en totale symbiose avec son instrument, le oud. Rencontre avec le virtuose chez lui, à Marseille.

 

Quand Tarek Abdallah vous accueille, c’est avec un sourire, beaucoup de cigarettes et un oud posé là, sur le canapé, le dos bombé. Egyptien d’origine, Tarek vit depuis des années à Marseille, où il compose, joue, travaille, enseigne le oud, ses techniques, son histoire… toujours avec le même engouement.
Ainsi, après quelques minutes seulement de discussion, nous avons déjà cité les plus grands noms du oud, fait référence aux musiques égyptiennes, arabes, classique, jazz et baroque, rock, balayé des siècles et traversé le globe… « Vous allez faire une thèse ? », demande-t-il sans malice. On pourrait… tant Tarek Abdallah est l’incarnation de sa musique, de son art. Il a trouvé sa voie, navigue sur les boucles et cadences savantes si spécifiques de son instrument, toujours semblables et différentes à la fois. « Le oud ne peut être qu’addiction totale », reconnaît-il dans un sourire discret.
Il s’y plonge d’abord par un désir soudain de goûter à un univers qui le fascine, hanté par des rencontres d’enfance et des souvenirs cinématographiques. Instrument emblématique de composition traditionnel de la musique égyptienne, celui qui ouvre le champ des possibles, le oud fait l’objet de traités savants depuis des siècles. Les techniques et les traditions associées y sont infinies. Tarek Abdallah consacre une partie de son temps à la recherche de cette virtuosité, une notion qu’il interroge jusque dans ses études universitaires. Chercheur et professeur reconnu, il décortique la pratique de cet instrument roi de la musique arabe et se spécialise dans la période du début du XXe siècle, où l’instrument s’émancipe et se joue en solo. « Le oud n’a pas besoin d’une voix », glisse-t-il comme une confidence…
Capable de disséquer l’histoire de l’instrument, il parviendrait aisément à nous ensevelir sous des masses de techniques, mais il s’en garde bien. La musique avant toute chose…
Ses collaborations passées témoignent de son ouverture, sa capacité à s’intégrer à des musiques baroques, occidentales, jazz. Il accompagne parfois même des lectures. Mais il admet qu’il y a là un sacrifice : c’est toujours le oud qui cède face à la tradition occidentale, toujours lui qui sert de support, invariablement l’oriental qui vient se fondre dans une musique étrangère… Le bonheur des gens qui l’accueillent est sincère, mais parfois plane le doute d’un désir d’orientalisme qui ne place pas le oud et son interprète à leur juste hauteur.
Lorsqu’il rencontre des musiciens partageant le même sentiment, et plus particulièrement le percussionniste Adel Shams El Din, il éprouve une sorte de libération, une reconnaissance. Une frustration partagée face à tout ce qu’il reste à faire à partir de l’infinie richesse musicale du oud sera le moteur d’une association pérenne et féconde. Elle aboutira avec l’album Wasla, début sublime d’une collaboration entre les deux virtuoses. Tarek confesse y trouver une sorte d’aboutissement, de réconfort. Nul besoin désormais de craindre de n’être qu’un alibi exotique au service de la musique occidentale. L’union des deux artistes, empreinte de mutuelle admiration et de connivence, ouvre le champ des possibles.
La scène représente le véritable lieu d’existence de la musique à la fois sacrée et populaire jouée par Tarek Abdallah. Et lorsqu’on aborde le sujet avec lui, l’homme lève les yeux et sourit avec évidence. L’endroit privilégié pour le oud est bien la scène. Mais une fois encore, aucun élitisme, aucune exigence ne se font sentir dans la parole du musicien. S’il accepte toujours la collaboration, l’aventure d’une scène partagée, c’est pour le plaisir de la découverte. On sent qu’il se réjouit sans faiblir de rencontrer des publics novices et variés. Une fois encore, c’est la générosité qui prime, qui est au cœur de cette démarche artistique et humaine à la fois. Mais voilà, il en est des collaborations comme des publics… Lorsque l’artiste peut jouer face à une audience d’avertis, l’échange est plus fertile. Et le plaisir partagé s’avère immense, précieux. Mais il lui faut souvent regagner les terres d’Orient pour que la rencontre ait lieu. En France, le oud est sous-représenté, à peine diffusé, et les amateurs sont rares. L’interprétation du oud sur scène repose, comme son apprentissage, sur des techniques très élaborées. La représentation est codifiée et le public traditionnel fait partie intégrante du spectacle, applaudissant à la fin des boucles, pouvant même redemander un moment de grâce. Dans cette fabuleuse énergie générale, il arrive que le public désapprouve, signale l’égarement ou la conventionalité d’un mouvement. Tarek sait ce que ce public, ce que cette musique, ce que cet instrument exigent. Et il ne cesse de chercher à rester à la hauteur de ces exigences superbes. « On fait de la musique parce qu’on défend des valeurs qui nous dépassent. » Il y a une harmonie évidente entre cet homme, ses valeurs, la beauté de sa musique et de son instrument. Ils nous parlent une langue simple depuis des hauteurs inaccessibles.

Fanny Bernard

 

Pour en (sa)voir plus : www.tarekabdallah.com