Oh Tiger Mountain © Daren Smith

Portrait : Oh! Tiger Mountain

Le chant des possibles

 

Mathieu Poulain, alias Oh! Tiger Mountain, sort enfin son deuxième album. Un disque plus abouti, rétro à souhait, qui fait écho à son désir d’aller de l’avant à la fois seul et collégialement. Clarifions ça avec l’affable grand gaillard.

 

La première fois que j’ai réellement focalisé sur Mathieu, c’était lors d’un concert solo donné au Poste à Galène, il y a déjà cinq ans. Jusque-là, le garçon s’était fait remarquer en tant que chanteur du groupe Nation All Dust, un espoir de la scène rock locale qui avait buzzé un peu sans vraiment donner suite. Et donc, en ce soir de première, dans le brouhaha général et les effluves de bière, le voici qui se présente avec un masque et une guitare, bien sapé mais autant dire à poil, pour interpréter quelques chansons d’un autre âge que deux imbéciles de journalistes (l’autre est un ami aux goûts sûrs) se mettent à écouter comme s’ils avaient enfin pu dégoter quelqu’un qui n’avait rien à voir avec cette ville, son histoire musicale, ses grands clichés et ses petites obsessions du moment. Ce soir-là, ce fut le début de quelque chose, bien que l’on ne sache pas où ça allait nous mener. Alors on y est allé franco. Et depuis, dans ces pages, personne ne regrette d’avoir régulièrement mis en avant ce jeune trentenaire, qui à force de performances flamboyantes et sincères, a fait son petit bout de chemin. En sortant un premier album « fait maison » (Sings Suzie) ayant attiré l’attention de la critique, en travaillant un temps avec le metteur en scène Hubert Colas, puis en frayant naturellement avec quelques musiciens complémentaires qui ont fini par enfanter un collectif plutôt fécond. « O!TM » : ou comment miser sur le bon Poulain.

 

Mélodies en sous-sol
A chaque fois que j’ai pu croiser Mathieu, nous avons parlé musique : c’est une chose saine. Mais aujourd’hui, il va me parler de la sienne, et c’est pourquoi je le retrouve dans le petit studio qu’il partage avec ses amis du label Microphone, aménagé dans un sous-sol avec deux pièces séparées pour les prises, façon « in the basement », et tout le bordel de rigueur pour les musiciens qui y passent. Ce jour-là, Simon (des groupes Nasser et Husbands) bosse dans un coin. Il a participé à ce deuxième album en jouant de l’orgue (très présent) et en rejouant les parties rythmiques de Mathieu. De même, Kid Francescoli est intervenu sur quelques titres, et tous les deux ont joué, aux dires de Mathieu, le rôle de conseillers artistiques au moment où celui-ci en avait le plus besoin. Comment, pourquoi ? « J’ai commencé par faire le disque tout seul dans ma chambre avec une carte son pourrie, à l’arrache, en enregistrant sur le moment. Et puis j’ai réalisé que je voulais mettre tellement de choses dedans que je n’allais pas m’en sortir, alors j’ai voulu terminer le disque avec mes amis en studio. Or, quand on est passé au mix (la phase finale), on a réalisé que la qualité des morceaux n’y était pas. Simon et le « Kid » m’ont donc aidé pour réenregistrer avec des amplis, des claviers, des échos à bande, bref, le vrai bon matériel… et j’ai continué à composer et enregistrer chez moi. Nous sommes finalement arrivés à une nouvelle mouture de l’album, qui nous a pris beaucoup de temps à mixer, plusieurs mois étalés sur 2013, car c’était un mélange de “lo-fi” et de prises beaucoup plus propres. J’ai accessoirement découvert ce que c’était que de produire la musique, et j’adore ça. » Voilà la première clef pour appréhender ce disque : solo, car pensé et composé en tant que tel, mais produit avec l’appui de ses deux comparses au sein de Husbands, dont il faut rappeler les différences esthétiques (pour faire court, Simon vient de l’électro et Kid Francescoli de la pop). D’évidence, l’entente entre ces trois-là dépasse le simple cadre de Husbands (projet pensé plus « commercial », et dont l’album est actuellement en phase de mixage pour une sortie prévue dans l’année). Chez Microphone, qui regroupe tout ce petit monde et quelques autres (Pedro Lopez alias Moondawn, Johnny Hawaii…), les choses se font donc de manière assez simple : « Quand tu commences à avoir plusieurs potes doués autour de toi, c’est con de ne pas mettre ça à profit. Ce sont des exécutants, tout comme moi : quand je travaille avec eux, je me mets à leur service. On fait tout comme ça, il n’y a pas d’ego mal placé là-dessus, ce sont des talents différents qui rendent le résultat plus richeOn gagne du temps et on fait mieux les choses : c’est une forme de travail élégante, on essaie de garder l’équité. »

 

Mini Mini Mini
Et alors, ce disque ? Toujours minimaliste, mais plus riche dans sa palette de sons. Toujours guidé par cette voix de crooner, unique, mais dont les modulations ont gagné en assurance. « Le premier fil rouge, c’est la voix, le deuxième, c’est la chambre à écho, et le troisième, c’est la guitare bariton, qui est accordée plus bas qu’une guitare normale, très utilisée dans la surf-music. » La deuxième clef de cet album que Mathieu considère officiellement comme son premier (« Sings Suzie était plus une compilation d’idées »), c’est donc la « couleur » qu’il a voulu lui donner, très rétro et ancrée dans les 60’s : les girl groups de Phil Spector, Nick Drake (toujours), les groupes obscurs qui ont influencé Broadcast (« une révélation »), et puis ces deux totems, Lee Hazlewood et Lee Perry, dont il admire la mise en son « bizarre, décalée ». The Start of Whatever, c’est donc une version redux de ce que l’on a pu aimer dans le songwriting insouciant des 60’s, des petits tubes avenants (New Religion, Lovvers, He’s not alone anymore) faits de bric et de broc, avec un son chaud, des chœurs et des « handclaps »… et même un reggae qui lui sied à merveille (Soldier/Not a Soldier). Un disque totalement anachronique en 2014, court, qui ne sortira physiquement qu’au format vinyle (autant pousser le truc jusqu’au bout). Et c’est ainsi, Mathieu, que tu espères vivre de ton art ? « J’ai mon label, mon tourneur, je me base sur cette réduction d’échelle de l’économie de la musique sans trop savoir si ça va le faire… Mais je suis dans une position qui me plait. Accéder à la route, trouver des dates est déjà difficile, alors le reste… Mon idéal, ce sont les clubs de 250 personnes : je pourrais faire ça toute ma vie. » The Start of Whatever ? Le disque d’un mec talentueux, cultivé, droit et optimiste dans sa démarche, qui nous dit qu’il faut y aller encore, recommencer, ne serait-ce que pour la beauté du geste… et advienne que pourra. « On me dit souvent que c’est plus dur à Marseille, donc c’est très bon pour Microphone. Je réponds alors : à Marseille, il y a un peu de tout… et un peu rien. » Ce sera le mot de la fin. Ou du début.

PLX

The Start of Whatever (Microphone Recordings), dans les bacs et en mp3 dès le 3/03

Soirée de lancement le 7/03 aux Demoiselles du 5 (5 rue de l’Arc, 1er).

Rens. : www.ohtigermountain.com