Nevchehirlian © Franklin Ginsgurg

Portrait : Nevché

Aux armes, Nevché cetera

 

Discuter avec Frédéric Nevchehirlian, c’est se rappeler que nous avons affaire à un homme de lettres : chaque mot est savamment pesé, les métaphores et les images poétiques s’immiscent naturellement. Mais s’en tenir à son cursus littéraire ou à sa plume serait réducteur car ce serait faire fi du musicien, qui livre son troisième album.

 

Rétroviseur est un disque dans lequel Nevché raconte sa jeunesse à Marseille et dont le titre assume son côté rétro (par sa volonté d’intemporalité), sans pour autant se détourner de son objectif (le viseur, pointé sur les idées à exprimer). « Le rétroviseur permet de regarder en arrière tout en fonçant vers l’avant, bien au chaud dans l’habitacle, cet endroit où nous donnons libre cours à nos pensées. »
Frédéric se considère « comme une somme de choses (qu’il a) vécues » et a décidé de les mettre en musique, car « on se regarde soi-même dans le miroir. J’avais envie que ce disque renvoie les gens à leur propre vie, à leurs propres souvenirs, qu’ils se disent qu’ils n’ont pas à rougir, à avoir honte ; qu’il faut avoir un peu de fierté, d’orgueil concernant notre passé. Se dire que ce n’était pas mieux avant, mais que c’est bien, ce qu’on a vécu. » Et de faire une métaphore entre sa musique et la carte de géographie selon Serge Daney, qui la voyait « comme la promesse d’un ailleurs au plus profond de soi, d’un lointain à découvrir, d’une altérité étrange, sans cesse se dérobant à notre raison, la promesse d’un voyage qui interroge inlassablement les humains que nous sommes. »
L’album est révélateur de la progression de l’artiste, en parallèle de celle de son patronyme : il y avait un « hirlian » de trop dans cette ville, on l’appellera désormais Nevché. Un nom qui va à l’essentiel, autant que l’écriture de ses nouveaux morceaux, pour certains plus accessibles. De l’aveu de son géniteur, le fait de mettre en musique des textes de Prévert dans Le Soleil brille pour tout le monde ? l’a conduit à se diriger vers plus de simplicité. Une évidence à l’écoute de Rétroviseur, qui propose certains de ses titres les plus abordables, dans un format chanson qui leur sied à merveille, sans se départir de l’exigence musicale et textuelle qu’on lui connaît. Ainsi, du morceau éponyme à Vas-tu freiner en passant par Digital Natives, on lui découvre une facette « radio-friendly » positivement surprenante, encore plus prégnante chez Grands Brûlés de l’amour. Cette chanson, d’une évidence mélodique inédite, symbolise pour son auteur « l’importance d’écrire un morceau romantique dans un disque qui parle de l’adolescence, période de faiblesses romantiques qu’on cache toute notre vie. C’est un hommage à ces morceaux que nous avons pu alors écouter en boucle sans oser l’avouer. »
Assumant désormais les mélodies auxquelles il renonçait autrefois, le voilà prêt à relever un défi : « Relier (ses) deux amours de jeunesse : la poésie et la pop. »
Ce qui nous conduit à parler musique, et à découvrir l’amour qui lie notre homme à ses instruments, un cheptel où se croisent modernité et vintage. Il dit aimer travailler le son, sa « passion et (son) cœur de métier », avouant adorer « la dimension artisanale et empirique de l’enregistrement » et les studios, ces lieux qui le font rêver. Il parle avec passion de la production, s’imaginerait travailler plus régulièrement dans ce domaine. On évoque pourtant rarement cette facette du personnage, la presse ayant tendance à se focaliser sur son écriture. Et à omettre une chose qui saute aux oreilles dans son nouvel album : quand les précédents faisaient la part belle à la déclamation, le chant se fait désormais plus présent, plus sûr. Mais aucun calcul ici : Nevché ne se définit pas comme un chanteur et considère l’interprétation comme plus importante que la technique. Au point d’évoquer l’expression orale comme une pratique rituelle, voire chamanique. « Je brûle ma voix pour tenter de fuir mes idoles. Je me contredis pour être plus sincère. Je change d’avis pour être toujours le même. Me découvrir finalement. »

Sébastien Valencia

 

Dans les bacs le 28/03 : Rétroviseur (Interneexterne / L’Autre Distribution)

En concert le 4/04 à l’Espace Julien (39 cours Julien, 6e).
Rens. 04 91 24 34 10 / www.espace-julien.com

Pour en savoir plus : http://www.nevchehirlian.com/