Presque tout l'univers de Christian Carrignon © Théâtre des Ateliers

Portrait : Le Théâtre de Cuisine

Top chefs

 

En couple à la ville comme à la scène, Christian Carrignon et Katy Deville codiririgent le Théâtre de Cuisine. En découlent une grande complicité protéiforme et une source inépuisable de débats sur l’inspiration de leur travail, la campagne pour l’une et la ville pour l’autre. En somme, un édifice qui ne peut se construire qu’à deux.

 

Entre ses premiers pas dans une banlieue détruite par les bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale et des vacances à la campagne chez son oncle, Christian apprend très vite à « faire des choses avec n’importe quoi ». Et comme le bricolage consiste finalement à « construire des objets avec des trucs qui n’ont rien à voir, comme un pêcheur du dimanche », le voilà fabriquant un sous-marin avec un carton de frigo ou réparant un clignotant avec du bric-à-brac. Le langage cinématographique du Théâtre de Cuisine et la miniaturisation des scènes auront, quant à eux, été grandement inspirés par une véritable passion pour le septième art et la bande dessinée. Chez Katy, c’est plutôt une enfance entre-deux, avec deux sœurs, respectivement à « l’ét-âge » supérieur et inférieur, qui lui permettra de développer son univers intimiste. En se fabriquant toute seule, au sens propre comme au sens figuré, un monde de maquettes, sa créativité ne cessera de grandir. La rencontre avec une comédienne à l’adolescence fera émerger en elle l’amour du théâtre et lui apprendra à reconnecter rêves d’enfants et réalité d’adulte.
Quand Katy rencontre Christian, dans les années 70 au sein de la compagnie de l’Echelle à Pau, il vient de créer une histoire sur une table de camping. Le spectacle en question existe toujours sous le nom de Petit Théâtre de Cuisine. La référence tient ici autant de la préparation spontanée d’un repas avec des ingrédients trouvés à droite à gauche qu’à la cuisine elle-même en tant que « lieu le plus chaud de la maison ». On y mange et on y boit certes, mais on y discute aussi, on rit, on se dispute, pour mieux se rabibocher ensuite. Cette idée de bricolage chaleureux est aujourd’hui la marque de fabrique de la compagnie, qui se crée en 1979 en s’émancipant des codes du genre théâtral.
S’ensuivent une vingtaine d’années au cours desquelles des voyages dans toute l’Europe permettent à Christian et Katy de se rendre compte qu’ils ne sont pas sont pas seuls à pratiquer cet art du geste. Un réseau informel se crée avec une dizaine de troupes. Après une longue tournée avec la création Dérives de Philippe Genty, co-construite avec eux, nos deux cinématographes du rêve-objet s’installent à la Friche en 1993. Cette résidence à temps indéterminé leur permet de retourner au théâtre d’objets et de transformer des espaces en jachère en véritables salles de spectacles cultivés aux petits oignons. Dès 2005, une autre carte vient s’ajouter à leur jeu avec la mise en place de formations et stages autour du théâtre d’objets. Avec l’idée qu’à l’instar des souvenirs glissés dans les objets, un savoir-faire peut aussi être transmis. Le Théâtre de Cuisine compte aujourd’hui près d’une quarantaine de spectacles à son actif.
Leur théâtre n’est ni classique, ni contemporain, ni de marionnettes. La compagnie a longtemps figuré parmi les inclassables, proposant une forme inédite difficile à ranger dans une case et encore moins dans une bulle. Les objets ne sont pas manipulés. Ils sont contés par l’acteur, qui n’incarne pas mais est tout simplement, et sa parole leur insuffle une signification parfois sans rapport avec son aspect visuel. Nous y croyons, telle la Fontaine de Duchamp qui devient une œuvre d’art, et nous acceptons dès lors de voir une pièce se jouer sur une table en guise de grand écran miniature. Les objets sont tous chargés de mémoires, constituant une « autobiographie des petites gens, qui se contentent de ce qu’ils ont ». Ils sont fabriqués par l’homme puis jetés, détruits ou récupérés, voire recyclés, et ont ainsi un souvenir d’usage. Non seulement le sens qui leur est attribué par l’acteur titille notre imaginaire, suscite la nostalgie du souvenir évoqué, jamais inquiétant et toujours émouvant, et une nouvelle identité leur est aussi donnée. Les portes de l’atelier du grand-père et de la cuisine de grand-mère sont ouvertes et nous sommes invités à entrer dans leur intimité. Le spectateur enfant s’amuse quand l’adulte y retrouve des souvenirs d’enfance.
Le four théâtral de la cuisine Christian-Katy a plusieurs niveaux de cuisson. C’est ainsi que le spectateur est guidé. Il se transforme en optique de caméra, pointée vers certaines zones du décor et de l’histoire. Plongée, contreplongée, plan d’ensemble et travelling visuels et mémoriels s’entremêlent. Décidément, le cinéma n’est jamais loin.

L’actualité de la compagnie est pour le moins chargée, entre les dernières représentations de Presque Tout L’univers, le Musée des Objets Ordinaires de Marseille et la dernière création, Je serai Macbeth. Ces propositions affirment le renouvellement incessant du Théâtre de Cuisine. Le premier transforme le Mini-Théâtre du Panier en une salle de classe d’une cité ouvrière marquée par l’ombre de Georges Pérec. Le deuxième propose, en échange de représentations chez les habitants de la Belle de Mai, de collecter, d’exposer et d’étiqueter leurs objets du quotidien avec un texte évoquant avec humour la mémoire d’un aïeul. Quelle meilleure définition d’un projet artistique participatif pourrait-on trouver ? Avec le troisième enfin, Christian Carrignon adapte une des œuvres les plus emblématiques de Shakespeare, dans laquelle il endosse le rôle du roi cruel et va même jusqu’à tuer sur scène son ami de trente ans, régisseur. Il est grand temps de passer à table.

Guillaume Arias

 

Presque Tout l’Univers : jusqu’au 7/02 au Mini-Théâtre du Panier (96 D rue de l’Evêché, 2e).
Rens. : 04 91 91 52 22 / www.theatredelenche.info

MOOM – Musée des Objets Ordinaires de Marseille : jusqu’au 28/02 au Gyptis (136 rue Loubon, 3e)

Je serai Macbeth : du 4 au 7/03 à la Friche la Belle de Mai – Petit Plateau (41 rue Jobin, 3e).
Rens. www.theatremassalia.com

Pour en (sa)voir plus: www.theatredecuisine.com