Elektrolux © Pixxxo

Portrait : Elektrolux

Électrons libres

Ultime baroud d’honneur pour Elektrolux, qui met un terme à quinze années d’activisme au service du rock’n’roll.

 

C’est à la Machine à Coudre, la salle historique de l’underground marseillais, que le trio garage rock a choisi de tirer sa révérence. Dans le lieu même où quatorze ans plus tôt, presque jour pour jour, en première partie du groupe Enema, il a fait ses premiers pas, une petite setlist de quatre titres en poche. C’est avec le sentiment d’être allé au bout d’une aventure humaine et musicale que les quarantenaires tournent la page. « Le bilan est très positif. Je considère que c’est un sans faute parce qu’on n’a jamais eu de mauvaise chronique pour un disque ou un concert pendant toutes ces années ­— ou alors on n’en a pas eu connaissance ! Et puis, c’est mieux d’arrêter quand tout va bien, avant qu’il y en ait un qui se barre ou que la routine s’installe. Ça permet de laisser un bon souvenir à tout le monde » précise Cédric, le chanteur-guitariste. Les Marseillais, qui trimballent avec eux une élégance dandyesque qui s’est imposée au fil du temps comme leur marque de fabrique, ne s’épancheront pas sur les raisons qui les ont amenés à dissoudre le groupe. On saura juste que la décision d’arrêter, mûrement réfléchie, a été prise il y a plus d’un an.
Après avoir œuvré dans une multitude de formations (en vrac David Watts, Bug ou The Singh), c’est au début des années 2000 que les jeunes musiciens se retrouvent au sein d’Elektrolux. Réunissant Manu à la batterie, Eric à la basse et au chant, et Cédric à la guitare, le power trio prend rapidement ses marques et multiplie les concerts dans les hauts lieux du punk marseillais que sont alors le Poste à Galène, le Balthazar et la Machine à Coudre… Il faut dire que les morceaux d’inspiration post-punk sur lesquels viennent se poser des riffs entêtants et la voix gutturale du chanteur-guitariste — qui semble toujours osciller entre un Tom Waits qui carburerait au malt écossais et un Nick Cave jet-laggué ­— font du combo l’un des plus charismatiques et les plus excitants du moment.
Très vite, le groupe fait le choix de s’autoproduire. « Un choix par défaut, dans la mesure où il est très difficile de vivre de sa production artistique », admet Cédric. Mais qui permet néanmoins à Elektrolux de s’inscrire dans la durée. Ce qui, lorsque l’on connaît les équations complexes qui président à la destinée d’un groupe de rock, entre bataille d’egos et ambitions divergentes, est loin d’être anodin. « En fait, on a fait les choses à notre rythme et c’est finalement ce qui nous a permis de durer. On a toujours su qu’on ne pourrait pas se débrouiller autrement qu’avec nos propres moyens. Quand tu choisis de t’autoproduire, c’est l’argent qui rentre dans les caisses qui finance les enregistrements. Or, tout le monde sait que dans le milieu underground, il n’y a pas beaucoup d’argent », explique Eric. En effet, à Marseille comme ailleurs, le rock est une passion qui carbure à l’huile de coude, dans laquelle il n’y a pas grand chose à gagner si ce n’est son ticket d’entrée dans la grande famille du rock’n’roll. Une économie de la débrouille qui fonctionne avec ses réseaux et ses structures (salles, tourneurs, assos) et met un point d’honneur à s’affranchir de l’institutionnel. Qui le lui rend bien.
Et tant pis si la musique ne nourrit pas son homme. Les trois potes ont de la motivation à revendre et partent en tournée pendant les vacances scolaires, en France ou en Europe, enregistrant au final quatre albums. En 2006, le premier, vient poser les bases d’une certaine conception du rock : le soviet twist. Celle d’un collectif sans leader, ni frontman, « parce qu’il n’y a rien de plus gavant que la posture du guitariste dans le rock. » Skin Deep High Noon, un vinyle édité à une petite centaine d’exemplaires, qui sortira à l’occasion du dernier concert, témoigne de ces quinze années. Du Elektrolux pur jus, dans la veine des précédentes productions, soit un mélange hautement addictif de garage rock période sixties et de punk rock avec des incursions rockab’, country, et ici en particulier, surf. Comme à son habitude, le trio s’est laissé porté par « la pente du plaisir », dixit Cédric.
Samedi soir donc, Elektrolux rendra définitivement les armes. Mais Eric, Cédric et Manu repartiront au front, au sein de Catalogue, pour l’un, et de Shiloh, pour les autres. Exemples d’une scène musicale en perpétuelle mutation et — n’en déplaise à ceux qui répètent comme un disque rayé que, à Marseille, le rock n’existe pas — bel et bien vivante.

Emma Zucchi

 

Elektrolux : le 23/01 à la Machine à coudre, Marseille (6 rue Jean Roque, 1er).
Rens. : www.lamachineacoudre.com / 04 91 55 62 65

Pour en (sa)voir plus : www.elektrolux.bandcamp.com / elektrolux.free.fr