Cleary © danilo pic

Portrait | Cleary

Tokyo Crush Saga

 

Dernière recrue du label Sounds like Yeah !, Yann Cleary sort un premier album, entre folk et toy pop, qui se veut davantage qu’un simple objet musical.

 

La première chose qu’on remarque, c’est son sourire. Le trentenaire ne semble jamais s’en départir, qu’il révèle avoir passé la journée à répéter en dépit d’une côte cassée ou qu’il évoque sans fard son incroyable et douloureuse épopée tokyoïte. On est là pour discuter de Tokyo, fruit de cinq années passées au pays du soleil levant, mais le Franco-Irlandais prévient : « Il n’est pas seulement question de musique. Pour moi, cet album est davantage un projet de vie qu’un projet musical. »
Fasciné par la culture japonaise, et en particulier par le travail de la pop star multi-instrumentiste Shugo Tokumaru, le musicien débarque dans l’archipel en 2007. Le coup de foudre est immédiat. Très vite, le succès est au rendez-vous. Il décroche des petits rôles dans des pubs, bosse comme mannequin ou « célébrateur » de mariages — il unit ainsi plus de 300 couples dans une cérémonie inspirée des rites du mariage occidental — et devient ce qu’on appelle un it boy (au Japon, on parle de talento), une personnalité connue davantage pour ses apparitions à la télévision que ses véritables talents. Le quart d’heure de célébrité expiré, la descente est rude, la société japonaise ne se laissant pas apprivoiser avec facilité. D’autant que rien dans la vie du jeune homme, qui a beaucoup voyagé et vécu dans une multitude de pays, ne le prédestinait à passer vingt-trois jours en garde à vue dans un commissariat. Ni à se retrouver dans un centre de rétention à attendre son expulsion. Et tout ça, à cause d’un contrat de travail qu’il n’a pas lu et d’un employeur qui a profité de sa « naïveté ». S’ensuivent scandale national, déchainement médiatique, hystérie 2.0, amis qui le lâchent, rancœur qui s’installe… « Rien ne m’avait préparé à ça, ça ma explosé la cervelle » confie-t-il.
De retour en France, Yann Cleary se plonge dans les morceaux inspirés de ses expériences de vie insolites, et cherche à en extraire la quintessence. Mais la musique ne peut plus se résumer à un simple assemblage de notes, elle s’impose au contraire comme un exutoire. Le processus est long et laborieux : il passe plusieurs mois à tâtonner, enregistrer et réenregistrer certains titres, un comble pour ce musicien qui travaille d’ordinaire très vite. Au final, près de quatre années seront nécessaires pour apposer la touche finale à Tokyo. Sur une base pop élégante et soyeuse viennent se superposer des nappes électro et des sonorités japonisantes, à l’instar du premier single extrait de l’album, NES My BFF, ou de Baby Love, le hit des Supremes que le musicien a retravaillé de mémoire. Si les bluettes mâtinées d’une voix de crooner exultent de légèreté, voire d’une certaine candeur, les textes s’avèrent plus graves. A l’occasion de la sortie de l’album, il met en ligne chaque semaine un titre inspiré des musiques de jeu vidéo (Tetris, Mario…), une inspiration constante qui tient plus de la référence au Japon que d’une véritable passion.
Séduit par la singularité de l’artiste, Laurent Garnier le signe sur son label Sounds Like Yeah !, dérivé du festival éponyme. Une reconnaissance importante pour le natif d’Aix-en-Provence : « Par rapport à ce que j’ai vécu, j’ai besoin de m’entourer d’une famille professionnelle. L’Escale à Aubagne a été ma première famille artistique en France, et je leur dois beaucoup, encore maintenant. J’ai connu pas mal de solitudes et j’avais envie de partager cette aventure. »
De plus, il se sent en « bonne compagnie » au sein de SLY, aux côtés notamment des Marseillais de Husbands ou de Ghost of Christmas, avec qui il partagera la scène en avril à la Mesón. Et c’est justement là, sur scène, que le one man band donne toute sa mesure, avec un show intimiste, poétique et un brin décalé, qui l’éloigne radicalement des sentiers balisés de la folk pop. Entouré d’un synthé, d’une flopée de guitares, de pédales, de capteurs infrarouge qui lui permettent de jouer les mains en lévitation, mais également de petits jouets en plastique ou de manettes wiimote, il convoque cette part d’enfance que le héros d’une de ses chansons prétend quitter en remisant sa console de jeu au placard. Surtout, il engage un dialogue avec le public, mettant un point d’honneur à en faire un élément constitutif du spectacle. Un parti-pris qui lui a souvent été reproché mais qu’il assume totalement. « Il ne s’agit pas seulement de jouer mes chansons, mais de raconter de façon poétique, voire humoristique, mon histoire. J’ai aussi envie que les gens aient l’impression de vivre un truc qui n’est pas interchangeable » explique-t-il.
Et si jouer live le fait avancer, c’est que Cleary n’aime rien tant que se mettre en danger. Une des raisons de sa participation à la prochaine édition des spectacles en appartement Hors Lits, au cours de laquelle il composera six morceaux, en direct, devant le public. Ou encore du projet de trio sur lequel il planche depuis plusieurs mois avec deux potes du collectif Arbuste. Et avec le millier de chansons qu’il assure avoir composées lors de son séjour au Japon, cette saga-là ne fait, évidemment, que commencer.

Emma Zucchi

 

Dans les bacs : Tokyo (Sounds Like Yeah !)

Pour en (sa)voir plus : https://www.facebook.com/clearyofficial