Identités Remarquables | Audrey Vernon

Humour, gloire et beauté

 

À 40 ans, Audrey Vernon a déjà beaucoup de flèches à son arc et cible souvent juste. Elle revient en cette fin de semaine à l’Art Dû avec son dernier spectacle, Billion Dollar Baby, dans lequel elle explique à son enfant à naître ce à quoi il devra se confronter dans ce joli monde qui l’attend, en tant que chair de sa chair et surtout chair à canon. Dans ce one woman show décapant, la fausse ingénue passe ainsi au crible les guerres, la violence, la destruction de la planète et moult autres réjouissances capitalistiques. Portrait d’une jeune femme à qui la vie sourit et qui nous fait sourire aussi — tout particulièrement quand on aurait envie d’en pleurer !

 

Il y a déjà vingt ans que la belle brunette native de Marseille a filé à la capitale pour y rencontrer le succès. Après un début de cursus en lettres classiques et à l’ERAC, Audrey décide assez rapidement de se consacrer pleinement à sa passion, le théâtre, et s’en donne les moyens en suivant les enseignements du Conservatoire et du Cours Florent. Elle est très vite repérée par Dominique Farrugia, qui la fait intégrer la bande des foufous de Canal + Décalé, « au moment d’une liberté inouïe, où on pouvait se permettre de rire de tout et, surtout, sans l’autocensure qui est de mise dans les médias aujourd’hui. »

C’est que, dès le début, la jeune femme sait se saisir de l’aubaine d’être jolie tout en gardant la tête froide, consciente d’en avoir sous les cheveux, pour mener combat. Ses jolies dents sont des petits crocs bien acérés, qu’elle dirige souvent contre le capitalisme et les destructions qu’il engendre. Dès 2005, elle écrit des spectacles en mode one woman show, et en 2009, Comment épouser un milliardaire ?, premier de la série de ses stand up économiques, lui vaut le succès et de belles tournées. Le titre est éloquent, l’écriture, ciselée, et le pari de l’humour du Candide, une vraie réussite. On y cause des grands de ce monde et on y parle de chiffres. Pour Audrey, « il faut apprendre à manipuler ces grands chiffres psychologiquement », pointant les sommes colossales engendrées, entre autres, par les subprimes, et désignant la caste de ces financiers qui détiennent le pouvoir. Évidemment, si la critique se fait toujours en deçà de ce qui est dit, ce qui l’est s’avère extrêmement documenté. Et c’est bien là que réside tout l’enjeu de son travail. Qui ne s’arrête pas en si bon chemin : elle écrit d’autres spectacles, comme Karl et Jenny en 2012, dans lequel elle évoque l’intimité de Karl Marx, de sa femme Jenny, de leur meilleur ami Friedrich Engels et de la mystérieuse Hélène Demuth qui vécut avec eux.

Puis en 2015, elle monte Fukushima, Work in Progress avec le syndicaliste Xavier Mathieu, leader de la lutte de Continental à Clairoix en 2010 qu’elle a rencontré alors qu’elle donnait une représentation de son spectacle en forme de soutien à ceux qui luttent pour leurs droits. Expérience qu’elle renouvelle fréquemment, notamment auprès des Fralib de Gémenos qui ont vu leur usine délocalisée en Pologne, avant de s’approprier leurs outils de production en fondant la scop 1336. Elle y découvre le monde ouvrier et dit « y avoir vécu un des plus beaux trucs de sa vie. » Dans une chronique sur France Inter en 2017, sa reconnaissance exprimée envers « les infirmiers, les postiers, les cheminots qui chaque jour font tourner le monde » et sa conclusion en forme d’attaque directe contre les patrons de la SNCF lui valent censure et verte remontée de bretelles, ce qui est loin de la décourager — et nous avec.

Formidablement et humblement, son humour s’emploie à décrire notre réel : « Bien souvent, la drôlerie vient surtout de la réalité, en énonçant simplement les faits. » Mais point de cynisme limité dans ses propos : « L’humour me permet d’aborder des sujets durs sans avoir la mort sur la conscience », explique-t-elle. Car, sincère dans sa démarche et consciente de sa chance de ne pas sentir le poids du labeur au quotidien, Audrey joue, et joue partout, dans les petits théâtres municipaux qu’elle sillonne à travers la France comme aux côtés des femmes d’Onet.

Telle une croisée de l’écologie et de l’anticapitalisme, Audrey milite, tout en essayant de comprendre sincèrement le néolibéralisme, pour en partager les clés. Preuve en est récemment, le podcast Big Books qu’elle vient de lancer et dans lequel elle lit des extraits de lectures qui l’inspirent dans « sa lutte pour que le monde aille moins mal. » Et, surtout, que ses réflexions ne soient pas solitaires, rappelant avec nostalgie les veillées où on se parlait de choses qu’on avait vues ou vécues en commun.

Dans son dernier spectacle, Billion Dollar Baby, elle imagine une discussion à bâtons rompus, où s’opposent deux visions du monde, entre forces du vivant (la femme qui procrée) et puissance de l’inanimé (le futur papa est un grand capitaliste), mais qui se sert habilement d’un certain manichéisme « pour rappeler qu’on est d’un côté ou de l’autre de l’histoire, victime ou bourreau. » Et de conclure : « Mais pour qu’il y ait rire, il faut que le public soit intellectuellement de la partie. »

Nul doute, on en sera !

 

Joanna Selvidès

 

Billion Dollar Baby : les 18 & 19/09 à l’Art Dû (83 rue Marengo, 6e). Rens. : www.lartdutheatre.fr

À noter : reprise de Comment épouser un milliardaire les 16 & 17/10 à l’Art Dû également.

Pour en (sa)voir plus : http://audreyvernon.com/accueil