Andromakers

Portrait | Andromakers

Les cœurs à l’ouvrage

 

Il aura fallu attendre huit ans depuis leur première démo pour que les Aixoises d’Andromakers livrent leur album. Retour sur dix années ponctuées de remise en question, de recherche et d’un travail méticuleux qui paie enfin.

 

Andromakers, c’est d’abord un nom porteur choisi pour son ambiguïté, qui nimbe le duo d’un certain mystère. Lucille Hochet découvre la guitare à l’adolescence, avant des études de psychologie dont elle se détourne au profit de la musique. Nadège Teri se met au piano dès l’enfance ; après un DEUG de philo et un DU de musicothérapie, elle aussi se consacre rapidement à son art. C’est dans l’Hérault que naît leur histoire commune.

 

Lucille, amour et rock’n’roll

L’affaire démarre en 2003, quand toutes deux font partie du même groupe de metal montpelliérain, après quelques passages solo dans de multiples formations du genre. Des riffs qui giflent, une basse qui tabasse et des hurlements : ces débuts dans la fureur de leurs vingt ans sont à présent très loin de leur quotidien. L’aventure leur apporte de l’expérience dans tous les domaines : composition, arrangements, chant, jeu sur scène… Ces années dans le bouillonnement des guitares saturées leur apprennent à se répartir les rôles.
Suite au split, il leur faut deux ans de réflexion et de tâtonnements pour définir un son qui correspond à leur tempérament. Leur choix se porte vers l’électronique, bien qu’elles goûtent peu d’être restreintes à cette seule case. En découle un savant mélange entre le synthétique de leurs instruments, l’organique de leurs voix et la chaleur qu’elles insufflent à leur musique. De « l’emocore » à « l’emolectro », loin des cris, près de cœur. Une initiation qui ne sera pas sans difficultés car, de l’aveu des artistes, « quand nous avons débuté Andromakers, nous étions totalement néophytes en la matière. On sortait à peine des guitares et des amplis dont nous avions fait une petite indigestion, et nous avions envie de revenir à quelque chose de plus minimal. Sans trop y avoir réfléchi, notre choix s’est posé sur de petits claviers, glockenspiels (NDLR : un cousin du xylophone) et autres petits jouets musicaux complètement intuitifs et simples d’accès. »

 

Au pays de candide

Dès leurs premiers titres, les musiciennes font preuve d’un savoir-faire certain, qui n’est pas sans évoquer les expérimentations premières d’Emilie Simon ou la grâce vocale de Björk (on évoquera également à leur sujet Au revoir Simone ou Bat for Lashes). Une grande fraîcheur se dégage de leurs compositions, nappées d’une candeur initiale qui finira par s’estomper au fil des années d’un travail constant.
C’est en 2010 qu’elles prennent un premier (et grand) virage, quand elles se hissent en finale du concours CQFD organisé par Les Inrocks et que leur EP The Golden Hour voit le jour. Les quatre titres qui le composent confirment leur sens inné de la mélodie : les tubesques Dancing, The Golden Hour et surtout Electricity, accompagnés de vidéo clips empreints d’une grande douceur, les installent sur la scène musicale.
Derrière des atours très pop et fort sucrés se dégage une forte mélancolie. Les instruments employés donnent une connotation enfantine à leur musique, et les adjectifs pour les décrire à leurs débuts évoquent inlassablement un son acidulé, poétique ou encore nuageux. Mais les Andromakers ne se satisfont pas d’être confinées à l’image d’une boîte de sucreries. Elles voient loin et prouvent leur remise en question permanente et leur gain de maturité en 2013, via les quatre morceaux de leur paire d’EP Lanterns of April/May. Une nouvelle réussite sonore et visuelle qui élargit leur spectre et affirme leur caractère. « Quand nous avons débuté, on était dans la découverte, et ce côté candide a peut-être un peu disparu parce que nous avons grandi. »

 

Le travail porte ses fruits

Nicolas Boileau écrivait : « Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, polissez-le sans cesse, et le repolissez, ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »
Telle citation convient à merveille aux méthodes de Lucille et Nadège, qui se sont constamment remises en question, travaillant sans cesse leur technicité et leur palette musicale. Non sans hésiter à remiser leur travail passé pour mieux préparer l’avenir. Ainsi, aucune trace de leurs productions précédentes sur le disque, qui se veut l’écho de leur état d’esprit actuel. « C’est vrai qu’on a énormément travaillé depuis quelques années. On a sûrement gagné en technicité à force de travailler notre live, et de comprendre au fur et à mesure les concepts des machines et logiciels sur lesquels on travaille. Cela nous offre une plus grande liberté pour nous rapprocher de ce que nous voulons proposer sur scène et cela libère aussi notre créativité. Au fur et à mesure des scènes et de l’évolution du groupe, on a ressenti le besoin d’envoyer plus de matière, plus de basses et de renforcer la base rythmique pour faire danser les gens. Petit à petit, on a travaillé en ce sens : Lanterns of April/May a été une première ébauche du son que l’on peut avoir désormais. Et qui est encore en pleine évolution en ce moment même ! »

 

Les pieds sur terre, la Terre à leurs pieds

Questionnées sur les enjeux de cette échéance, les musiciennes gardent la tête froide, et Nadège assure que « la pression est retombée. On a attendu si longtemps avant d’enregistrer et de concrétiser ce premier album, on s’est mis une grosse pression pendant l’écriture et sa réalisation. Maintenant qu’il est fini, bien sûr que nous avons envie qu’il soit écouté et reconnu, et c’est normal. Mais quelque part, on a lâché prise, et on s’aperçoit que ce n’est pas plus mal. Quel que soit l’accueil qui lui sera réservé, je continuerai toujours à écrire et composer. Je le vois comme le début de quelque chose, et non le contraire. »
Car au-delà de la réception publique que recevra le disque, son cheminement aura été une source de révélations et d’expérience : « J’y vois plus clair dans ce qu’est Andromakers. Au final, tout ce qui a été produit par le passé fait office de brouillon, de test. On se sent prêtes après huit ans, c’est vrai que nous avons pris notre temps, maintenant nous sommes fières du résultat actuel. Ça valait le coup d’attendre. »
Huit années qui les auront vues travailler, encore et encore. Et, tandis que certains se demandaient où elles pouvaient en être de cet enregistrement qui se faisait languir, elles prenaient le temps d’en définir les contours tout en jouant aux quatre coins du monde (Europe, Népal, Inde, Pérou…). Lucille et Nadège, qui ne sont pas du genre à se reposer sur leurs lauriers, de résumer parfaitement leur philosophie : « On ne peut que se reposer sur le travail qu’on fournit, en étant toujours exigeantes vis-à-vis de ce qu’on propose. Rêveuses oui, mais bosseuses. L’un ne va pas sans l’autre. » CQFD.

Sébastien Valencia

 

Album : Andromakers, sortie le 2 septembre 2016
Singles : Fairchild (disponible), Everest (le 17 juin)
Rens. : www.andromakers.com

 

Bonus web

Sur leur label, Transfuges

« On est très fières de faire partie de la maison. Ce sont de gros bosseurs et on a la chance d’être artistiquement sur la même longueur d’onde. On a eu la chance d’être mise en relation, il y a presque quatre ans, avec Romuald Sintes, qui dirige Transfuges et qui est aussi notre manager. La structure n’existait pas encore à l’époque, et a grandi en même temps que nous.
Le fait de travailler avec un manager nous a permis de prendre du recul sur le projet, de définir une vision du projet aussi bien stratégique qu’artistique. Ce dialogue constant nous permet de mieux comprendre ce qu’est Andromakers, de mettre nos forces de travail en œuvre sur une ligne directrice forte, et de trouver les bons partenaires.
Transfuges fabrique aussi de superbes images, et a produit le clip d’
Everest avec Bruno Mathé à la réalisation et Benoît Tardif à la direction artistique, qui a aussi dirigé le shooting de la pochette. On tire de ce travail en équipe une vraie unité esthétique (visuelle et musicale) de l’album que nous proposons. Le travail qu’ils ont fait sur les photos et sur le clip d’Everest est tout simplement magnifique. Ils ont parfaitement compris ce qu’est Andromakers et ont mis en avant ce côté mélancolique et mystérieux qui transpire du projet. C’est ce que nous sommes. Ils ont fait ressortir le meilleur de nous-mêmes et nous les remercions vivement pour ça. »

 

Andromakers, côté LP

Avant même l’écoute, la pochette sur laquelle Nadège tient un miroir reflétant le visage de Lucille définit ce que sont les Andromakers : une aventure fusionnelle, la rencontre de deux êtres complémentaires au quotidien scellé par leurs différences. L’une ne peut aller sans l’autre, et cette relation n’a jamais été autant mise en valeur que dans les onze morceaux (interlude compris) qui composent le disque. Un dialogue se noue au fil des pistes, le chant en anglais de Nadège répondant au spoken word de Lucille, qui n’hésite plus à user de la langue française, qu’elle manie avec habileté.
L’album présente plusieurs facettes. D’abord celle qui démontre le savoir-faire du groupe, via des morceaux très accessibles et dansants qui devraient assurer des concerts à l’ambiance électrique. En attestent Everest, sommet pop au refrain entêtant et à la déclamation posée (qui n’est pas sans rappeler les illustres Visage), d’une haute efficacité mélodique, Shine tout en house bondissante, soutenu par une basse profonde et un chant lancinant, ou encore Beausoleil qui lui rend la pareille avec sa légère accélération de tempo et sa chorale impeccable, pris la main dans la French touch.
Autre aspect, ces titres où la cadence se veut plus modérée ou le rythme plus saccadé, portés par les claps, les chœurs ou les nappes de clavier, comme Fuschia, Fairchild et surtout Ominerion et Etat major, au chant et au propos prépondérants, où les musiciennes se mettent à nu. Avant de nous faire chavirer avec B for Beaches et Fascination, ces instants d’une légèreté divine, d’un dépouillement musical le plus total où la douceur emporte tout à la simple force de l’émotion.
Hanté par un drame familial et fort de l’alchimie du duo, l’album est justement chargé d’émotions : la mélancolie le dispute aux doutes et à la peur de la solitude, mais sait s’effacer quand l’optimisme réclame son dû. « Parce que sans toi, j’ai peur du noir » : cette phrase extraite d’Etat major résume finalement assez bien le disque et, au-delà, le projet humain qui l’a enfanté. Et nous rappelle que dans Andromakers, il y a un cœur.

SV