Pierre Boderiou - Aux armes et Cætera à Saffir, Galerie Nomade

Pierre Boderiou – Aux armes et Cætera à Saffir, Galerie Nomade

Le goût de la fadeur

Accueillie par le Cabanon Design depuis septembre, Saffir Galerie Nomade est, comme son nom l’indique, une galerie qui se balade… Ce qui ne bouge pas, c’est la passion de sa directrice, Lydie Marchi, pour son métier et ses artistes. A commencer par Pierre Boderiou, dont l’exposition interroge ce que notre société a su faire de plus laid.

expo-Pierre-Boderiou.jpgDans L’éloge de la fadeur, François Jullien vante cette appétence à rester sur la tranche, entre deux, sans opinion comme pour la laisser naître justement… C’est ce que relatent les images de Pierre Boderiou. L’exposition Aux Armes et Cætera présente une série de voitures de police en cire et des dessins d’armes à feu, pistolets et autres jouets de garçon. La facture hyperréaliste et l’abondance de détails des dessins — réalisés à la mine de plomb — leur donnent l’apparence de photographies. L’artiste dresse le portrait des flingues comme s’il s’agissait de véritables personnages, chargés d’histoire, dotés d’un caractère, d’une personnalité… Pierre Boderiou représente ce qu’il n’aime pas, ce qui l’agace, ce qui l’énerve, mais sans violence ni haine. Il ne crache pas son venin sur le papier vélin, mais s’attarde longuement sur son sujet, comme pour apaiser lentement son agacement comme on expire l’air pour reprendre son calme… Ce qu’il abhorre par-dessus tout, ce sont ce que Vasarely appelait les « nuisances visuelles », toutes ces choses qui enlaidissent nos paysages, tout ce qui fait « cette France qui devient moche » (Télérama n° 3135)… Les images de Boderiou sont comme un doigt pointé sur un détail qu’on oublie de regarder, mais sans pour autant nous dire quoi en penser. Ses « Maisons de panurges » et ses aquarelles représentant des voitures de police nous proposent autre chose que de se réfugier dans nos certitudes, souvent sans demi-mesure : les armes à feu, c’est mal, fuck la police… L’éloge de la fadeur donc, puisque être fade, c’est n’adhérer à aucune position particulière, mais aussi être capable de s’engager dans une voie quand elle est pertinente, puis de s’en retirer quand il le faut pour s’engager dans une nouvelle. Les images de Pierre Boderiou, c’est du temps de cerveau auquel on ne peut plus vendre quoi que ce soit, uniquement disponible pour se poser la question, et se la reposer, encore et encore.

Céline Ghisleri

Pierre Boderiou – Aux armes et Cætera : jusqu’au 8/05 à Saffir, Galerie Nomade c/o Cabanon Design (32 rue Saint Jacques, 6e). Rens. http://www.saffirgalerienomade.blogspot.com