L’Année du singe © Lou Grenier

Chronique | Patti Smith – L’Année du singe (Gallimard)

La route de soi

 

Lorsqu’on est coincé dans un monde clos et souvent riquiqui, quoi de mieux que de s’ouvrir à l’univers infini d’un voyage temporel ? Patti Smith nous ramène en 2016, Année du singe, avec un road trip sur les routes américaines bordées de ses rêveries de promeneuse solitaire.

 

C’est une année charnière emplie de mélancolie. Patti Smith ressent les effets du temps qui passe. Elle fête alors ses soixante-dix ans, entourée du souvenir de ses morts — de plus en plus nombreux — et de ses auteurs tant aimés. Sam, ses parents, son chien, Pessoa, Roberto Bolano ou encore Marc Aurèle lui tiennent compagnie dans ses errances à travers les États-Unis.

Munie de quelques tee-shirts, de son polaroïd et de son carnet de note, elle griffonne ses pensées au gré des cafés déserts et des motels étriqués, faisant même un crochet par la bibliothèque de son enfance. Le tout en quête d’un café digne de ce nom.

Loin de livrer une longue complainte sur les conséquences de la vie qui se fait la malle, Patti Smith esquisse un art de vivre mêlant son imaginaire à son quotidien. À la recherche d’un temps apprécié et précieux. Chaque instant vaut la peine d’être écrit. Les personnages croisent les personnes, les enseignes s’expriment, les disparus bavardent. La dissociation concret/fictif est évacuée au profit d’une balade poétique qui fait de la littérature un remède essentiel à la réalité brute. Le tout dans une ambiance dépouillée du superflu de la notoriété, laissant toute sa place au vagabondage physique et cérébral.

La délicate imagination de converser avec des poètes disparus croise, cette même année, la folle réalité du monkey buisness politique de son pays. Plus fou que dangereux, ou l’inverse, mais dans tous les cas soumis comme tout à une durée déterminée. 2020 le sait.

Pour que sa joie demeure, Patti Smith puise ses recharges dans la beauté des mots et leur pouvoir de distordre le temps et ses impacts. Rêvasser avec une tasse de café avant de prendre la tangente, quelle qu’elle soit, est une force de vie.

 

Simone d’Abreuvoir

 

Patti Smith – L’Année du singe (Gallimard)