"Passer le mot et se rappeler d’hier pour lire aujourd’hui"

« Passer le mot et se rappeler d’hier pour lire aujourd’hui »

Les enfants de Marseille n’ont pas appris sur les bancs de l’école combien les mois de janvier et février 1943 ont bouleversé leur ville. Les touristes toujours plus nombreux arpentant les rives du Vieux-Port n’ont pas idée de l’évacuation et de la destruction de l’ensemble du quartier qui longe le quai de la Mairie et les emmène jusqu’au Mucem et à la face aujourd’hui radieuse de la Joliette. Trois quarts de siècle auparavant, les 23 et 24 janvier 1943, 20 000 personnes étaient évacuées de leurs habitations manu militari par la police française et la soldate nazie. 12 000 seront transférées de force dans des trains à destination d’un camp de rétention à Fréjus. Huit cents, de toutes origines et de toutes confessions, seront déportées dans les camps de la Mort. Celles qui seront épargnées par le criblage des « criminels de race étrangère » verront à leur retour mille cinq cents immeubles systématiquement détruits à l’explosif pendant vingt jours de glas des pierres tombées. À la fin de février 1943, le plus vieux quartier de France, à l’emplacement où vingt-cinq siècles plus tôt avait été fondée l’antique Massalia par des Grecs venus de Phocée, a été anéanti. Ses survivants démunis, éparpillés. Accueillant de tous temps les derniers arrivés dans la cité, cet endroit mêlait tout ce que le cosmopolitisme peut engendrer et que le tenant de l’ordre ne peut tolérer. Il fut aisé de désigner du doigt le moment venu ceux qui vivaient là, en majorité les Nabos, ces immigrés napolitains charriant dans leur sillage les préjugés des bonnes gens. Au plus haut de la hiérarchie du Troisième Reich, ordre avait été donné dans l’Opération Sultan « de nettoyer et de détruire le quartier du Vieux-Port de Marseille et de faire de cet endroit une ville propre par de vastes mesures, également de nature urbanistiques. » L’État français a été associé à toutes les décisions. Le maréchal Pétain n’aimait-il pas proclamer : « La rénovation de la France est liée à celle de Marseille ! » ? Ce quai du Vieux-Port ne portait-il pas son nom ? Un an avant sa mise en œuvre par les actions conjointes et coordonnées de l’occupant et du collaborateur, un plan d’urbanisme avait été conçu par un architecte de la Ville. Les criminels au pouvoir se passeront de procédures longues et coûteuses de rénovation et d’expropriation, au profit des stratèges du chaos. Passer le mot et se rappeler d’hier pour lire aujourd’hui. Les victimes d’un tel crime contre l’humanité nous le murmurent à l’oreille quand revient inéluctablement le moment où les indésirables trouvent un nouveau nom et que l’on entend vouloir s’en débarrasser.

 

Michel Ficetola, président de l’association Massaliotte Culture