Hadrien Klent – Paresse pour tous

Paresse pour tous d’Hadrien Klent

Douce paresse

 

Ressorti en poche début mars aux éditions du Tripode, le roman Paresse pour tous du mystérieux Hadrien Klent, pseudonyme d’un autre écrivain, est on ne peut plus d’actualité puisqu’il met en scène Émilien Long, un Prix Nobel d’économie qui décide de se présenter aux élections présidentielles avec une proposition radicale : la journée de travail de trois heures ! Un changement de paradigme loin d’être si utopiste, malheureusement à mille lieues des propositions des vrais prétendants à la présidence.

 

 

Sans remonter jusqu’à Shakespeare ou Molière dont des doutes subsistent sur le fait qu’ils soient vraiment les auteurs de leurs pièces, l’histoire littéraire regorge d’auteurs écrivant sous pseudonyme, que ce soit Boris Vian avec Vernon Sullivan, Romain Gary créant de toutes pièces Émile Ajar pour publier La Vie devant soi ou, plus récemment, Elena Ferrante, autrice italienne à succès dont l’identité est jalousement gardée secrète.

On ne saura pas ce qui a motivé celui qui se fait appeler Hadrien Klent à prendre un pseudonyme pour écrire un premier roman édité en 2010 déjà au Tripode, Et qu’advienne le chaos, un texte qui joue avec les codes de la science-fiction.

Quelques années plus tard, quatre ans avant le Covid, dans son deuxième roman La Grande Panne, l’écrivain imagine de façon très vraisemblable que la France se retrouve complètement à l’arrêt suite à une coupure de courant généralisée motivée par un accident écologique survenu en Italie. Cela ne vous rappelle rien ? « Mes écrits s’avèrent peut-être prophétiques, mais je me plante à chaque fois d’un cran : au lieu d’une grande panne, on a eu un enfermement sans coupure électrique », nous confie l’auteur.

Prophétique, on aimerait qu’il le soit encore une fois, car son dernier roman, Paresse pour tous, paru en 2021 et récemment ressorti en poche au Tripode, met en scène cette fois-ci Émilien Long, Prix Nobel d’économie, qui se présente à la Présidentielle en prônant la semaine de travail de quinze heures. Un roman initié pendant le premier confinement, à l’heure d’un questionnement quasi généralisé sur le rythme de vie. « À l’origine du projet, il y avait une idée qu’on avait eue à deux, avec Alessandra Caretti : imaginer une bande dessinée qui propose une version contemporaine de L’An 01, un récit dessiné utopique de Gébé paru dans les années 1970. […] Et puis, en commençant à travailler sur la bande dessinée, on s’est vite rendu compte qu’on manquait de place… Alors on a décidé que j’en ferai un roman. »

Loin d’être un brûlot anarchiste, Paresse pour tous valorise au contraire le processus démocratique en partant du principe qu’il faut intégrer le système pour mieux le changer, ce qui, en ces temps d’abstentionnisme généralisé, s’avère un message fort sur le pouvoir de la démocratie qui, si elle n’est pas parfaite, mérite peut-être qu’on lui accorde encore une chance…

 

Utopie réaliste

Hadrien Klent et son personnage Émilien Long évoquent l’expérience de Léon Blum qui a instauré les congés payés avec le Front Populaire, ou la Sécurité Sociale mise en place à la Libération, deux mesures que peu de gens aujourd’hui remettent en cause alors qu’en leur temps elles étaient décriées et considérées comme irréalisables, voire suicidaires pour l’économie du pays.

« Ce qui est intéressant dans les profonds changements de 1936, c’est qu’ils surviennent justement suite à une élection — c’est ce que postule mon roman. […] Si on regarde bien le corps social français, on se rend compte que ceux qui ont intérêt à ce que les gens travaillent plus, consomment plus, souffrent plus, ce n’est pas la majorité, loin de là. Le projet d’Émilien Long pourrait séduire beaucoup de gens en réalité ! D’où le terme qu’il utilise d’“utopie réaliste” : ça semble utopique parce que ça remet en question les habitudes de la société, mais c’est réaliste parce que dans son système, plus des trois-quarts des Français sont gagnants… »

Alors que dans cette morne campagne présidentielle, seules quelques voix à gauche ont timidement parlé de la semaine de quatre jours, on reste bien loin d’une réduction drastique du temps de travail comme Hadrien Klent le propose dans son roman en s’appuyant sur des écrits de Keynes qui annonçait la semaine de quinze heures dès les années 30 pour cent ans plus tard, soit 2030 ! Est-ce qu’on y arrivera ? « Je ne sais pas. En revanche, pourquoi on n’y est pas déjà, c’est la question qu’il faut qu’on accepte de se poser collectivement : tout est fait comme si, malgré les burn out, malgré le covid, malgré aussi l’état fortement dépressif de la société française, ou la fatigue corporelle pour les emplois les plus pénibles, il fallait continuer comme ça. »

 

Marseille, capitale de la paresse ?

Le personnage principal Émilien Long est né et vit à Marseille d’où il officie pour mener campagne, plutôt que depuis Paris. « Cela fait un moment que je vis à Marseille, et il m’a semblé tout de suite évident de faire d’Émilien Long un Marseillais de naissance. Marseille, au-delà de tous les clichés rebattus, est une ville qui n’est pas soumise, qui a son énergie propre, une forme de liberté qu’aucune vague de néo-habitants ne pourra tout à fait faire disparaître. Faire de Marseille le QG de campagne de mon candidat, c’était aussi rendre hommage à cette ville. »

Quand on lui demande son avis sur la campagne, il botte en touche : « Trop personnel. » Par contre, il renchérit : « Ce qui s’est passé dans la vraie vie à l’automne dernier, ce candidat ahurissant qu’on a vu squatter l’espace médiatique, un miroir inversé d’Émilien Long, défendant une position politiquement aux antipodes de Paresse pour tous, montre que mon roman n’est pas caricatural : le réel l’est bien plus que ma fiction, en l’occurrence. Et je préfère la caricature optimiste fictionnelle au réel pessimiste caricatural. »

 

JP Soares

 

 

Dans les bacs : Paresse pour tous d’Hadrien Klent (Éditions Le Tripode)

Retrouvez l’intégralité de l’interview d’Hadrien Klent sur site de Ventilo