Osons-nous encore aimer ?

Osons-nous encore aimer ?

Elle, c’est la femme qui a aimé, c’est la voix écrite par Serge Valetti dans Just Hamlet, incarnée par Jezabel d’Alexis, mise en scène par Jean-Marc Fillet, jouée au théâtre de Lenche, celle qui nous attend… (lire la suite)

Elle, c’est la femme qui a aimé, c’est la voix écrite par Serge Valetti dans Just Hamlet, incarnée par Jezabel d’Alexis, mise en scène par Jean-Marc Fillet, jouée au théâtre de Lenche, celle qui nous attend.

Elle nous attend pour nous embarquer dans sa solitude : celle d’un rythme jazz, d’une scène obscure et chaude à la fois, qui semble s’être déplacée depuis un de ces mythiques clubs californiens où le whisky et le juke-box ont la première place, celle surtout d’une histoire de couple qui s’étiole dans l’oubli. Qui est-elle au juste ? Difficile de le savoir précisément. Elle n’est pas un personnage écrit jusque dans les moindres détails, plutôt un individu, quelqu’un qui s’étire et se rétracte dans le temps, qui vole entre les rencontres, qui attend et provoque, qui rie, crie et danse, qui vit tout simplement. Que fait-elle ? Elle se pose la question. Tous, autour d’elle, vendent, achètent, vendent encore et achètent à nouveau. Mais elle n’a rien à vendre, elle a bien essayé un jour de vendre des goélands en cage, mais pourquoi toujours enfermer la liberté dans une cage ? Elle s’y est refusée. Alors il lui reste sa voix, ce que cet homme lui a laissé à défaut d’amour. Elle parle, presque malgré elle, de ce qu’elle a été, de son passé d’actrice, de prostituée, peut-être même de clocharde, de cet oncle vendeur d’hélice, et de cet homme… lui, le muet. Elle parle pour elle et pour lui. Il n’y a pas vraiment une histoire, plutôt des allers-retours dans la mémoire, un peu maladroits, comme des sursauts de désir, des petits bouts de sa vie à elle, de sa vie avec lui. Lui, qui comme une ombre sur scène, l’encourage de sa présence à poursuivre cette parole, la pousse, la bouscule, l’écoute, lui tend un verre, esquisse un pas de danse, provoque un geste, l’invite à sa propre folie, non pas celle de l’enfermement, mais celle qui permet de laisser libre cours aux instincts de vie. Comment est-elle ? Comme un désir d’homme : belle, provocante à souhait, mystérieuse aussi dans sa robe rouge. Une de ces femmes qui attendent au coin d’un comptoir de bistrot, qui semble s’être échappée d’un tableau de Hopper, toute à elle-même, attendant que quelqu’un passe recueillir dans le creux de l’oreille son histoire décousue.
Et maintenant, elle est là sur scène, pour nous. On écoute, le regard rivé sur son corps. Femme esquissée par un homme, un dramaturge marseillais, Serge Valetti, qui se lamentait du peu de place accordé aux femmes dans le théâtre de Shakespeare, d’où le titre, Just Hamlet. Plongé dans ses histoires de couple, il écrit en une nuit, cette voix à la fois homme et femme, à porter par une femme. Tentative qu’il renouvellera dans son roman Et, puis, quand le jour s’est levé, je me suis endormie. Un peu étrange, cette manière pour un homme d’écrire la voix d’une femme, d’être femme presque. La mise en scène de Jean-Marc Fillet s’attache tout particulièrement à la placer au centre, elle, jouée très justement par Jezabel d’Alexis. Par sa présence à lui — il est aussi l’acteur —, par un subtil jeu de lumière, il tisse autour d’elle un espace doux, un peu comme un lieu perdu au milieu de la savane, entre les herbes folles, un endroit où l’imaginaire renouvelle la réalité.

Texte : Diane M.
Photo : Patrick Servi

Jusqu’au 20 au Théâtre de Lenche. Rens. 04 91 91 52 22