On danse ? Scénographie Cécile Degos © François Deladerriere / Mucem

On danse ? au Mucem

Galerie de portés

 

Partage, militantisme, prouesse physique ou véritable transe… S’agissant de la danse, les définitions sont légion. Dans l’enceinte d’une galerie entièrement revisitée pour l’occasion, l’exposition On danse ? au Mucem nous convoque à un ballet follement rythmé. Découpage en trois volets d’un parcours audiovisuel enragé, émouvant et presque toujours sensuel.

 

L’espace transformé

La danse est un show. C’est dans cet objectif spectaculaire, et pour mieux créer la chaloupe collective, que la galerie d’exposition du J4 a été judicieusement repensée. Ainsi, le lieu est devenu une méga salle de cinéma ; configuration ténébreuse idéale pour faire vivre aux visiteurs une épopée longue durée, multiscreen et immersive à souhait. Au menu de cette grande cabriole culturelle ? Six heures de flux audiovisuel projeté, çà et là, sur différents écrans. Ce sont 66 artistes mis à l’honneur et presque autant de films et d’extraits qui nous sont ici offerts, au cœur d’un univers gentiment lunaire. Autre particularité de ce spectacle sonore et filmé : il ne s’agit pas seulement de contempler ce qui nous est montré mais de prendre part physiquement, en corps et encore, à cette trame bien balancée.

Une fois testés les sièges en forme de balançoires (summum du corps en mouvement) et les vastes tribunes moquettées (pour le repos des guerriers), il est possible de se glisser dans un sombre recoin et mieux apprécier le va-et-vient. Si les œuvres requièrent notre attention, il reste récréatif de tester la pluralité des modes d’installation proposés : tantôt assis, accroupis, allongés, tantôt debout, enlacés, entassés. Pour compléter la projection, quelques reliques ont été mises en lumière comme cette sculpture « made in London » qui nous donne une leçon de street style populaire (l’accoutrement conseillé pour réaliser figures et autres enjambées du tonnerre !) ou encore ce radiocassette de compet’ (Ghetto Blaster), emblème bruyant d’une culture hip-hop tout feu, tout slam.

 

Les trésors filmés

Crevant fièrement l’obscurité, les nombreux écrans de l’exposition nous engloutissent sans trop forcer. Qu’apprend-t-on de la danse ? Qu’elle est un risque, une discipline osée. Que l’emportement de notre « carapace » laisse bien des traces. Que la vérité des chorégraphies est toujours pleine de grâce. La danse, c’est ce prodige d’une quarantaine d’années, torse nu et secoué de spasmes musclés. C’est l’abandon de deux jeunes mâles en socquettes blanches, qui se respirent pour mieux se ressembler. Le génie de ce duo ? Savoir écouter le corps du partenaire et aimer lui faire écho. La danse, c’est aussi l’immobilisme forcé (la construction d’un pas), lorsque son protagoniste pose une intention sur un temps défini. Un exercice qui n’est ni sans difficulté, ni sans répit. C’est le culte du final de Grease : la confrontation entre Olivia Newton-John et John Travolta est animale, comique, mais aussi pleine de théâtralité et de mimes grossiers. C’est ce couple d’Afrique, venu s’affronter dans une chapelle et paré de boubous bigarrés. Jamais ils ne se laissent gagner par la laideur de la violence. Toujours, leur gestuelle appelle la puissance. Cette alliance mystique, teintée d’imprimés wax et de violet, nous subjugue pour de vrai. Une danse-combat qui fera régner la femme et son impassible beauté.

Certains films ont une résonnance singulière. Prenons cette compagnie de danseurs venus se faire les représentants mouvants d’une patrie humiliée, d’une société austère. Leur marche groupée devient progressivement une danse de l’espoir saccadée et sonne — grince ! — comme le réveil des consciences populaires endormies. Montant des marches infinies, gravitant jusqu’au ciel, ces danseurs/acteurs parfois désarticulés nous bouleversent à grand renfort de pirouettes et de foulées. Mais aussi… ces femmes ressuscitées. Silhouettes vêtues de noir, visages voilés de blanc et propulsées dans une plaine désertique bien ensoleillée. En cercle, les unes face aux autres, elles vont s’époumoner, se libérer, se sauver. Leur lâcher-prise commun, que l’on accueille plus spontanément comme une plainte furieuse, est salvateur. Ici, leur cérémonial « hurlé » et « chorégraphié » selon les seules lois d’une délivrance imminente nous permet, nous aussi, de faire taire les maux de trop et d’abattre les peurs qui nuisent au cœur.

 

L’effet escompté

Grâce à cette scénographie hors du commun, la danse nous prouve ici qu’elle est accessible en tous points. Sans frontières et sans barrières. Pour soi-même ou pour autrui. Tango d’énergie ou polka de vie. C’est aussi un défi à relever, une image renvoyée qu’il faut assumer, une paix à faire avec son corps, un deal passé avec l’inconfort. Qu’elle soit un acte engagé ou simple désir de légèreté, la danse nous met en condition. Rien n’est finalement plus cathartique que de répondre à son invitation.

Le format audiovisuel proposé au sein du J4 nous donne suffisamment de matière pour frissonner. La mise en scène (écrans, jeux de lumières, miroirs et reposoirs) met à égalité les aspects cosmiques et ludiques d’un espace totalement transformé. La magie opère jusqu’aux mille filaments d’un rideau de sortie scintillant. Jusqu’au dernier moment, comme si nous étions les acrobates d’une performance très regardée, la flamme nous habite de la tête aux pieds. Une autre approche de la danse ? L’incandescence, en effet.

 

Pauline Puaux

 

On danse ? : jusqu’au 20/05 au Mucem (7 Promenade Robert Laffont, 2e).

Rens. : www.mucem.org