L’Ogre-lion T.1 de Bruno Bessadi

Millefeuille | L’Ogre-lion T.1 de Bruno Bessadi (Drakoo)

Fauves en cases

 

Le dessinateur Bruno Bessadi, co-créateur du Zarmatelier avec Richard Di Martino, deux figures incontournables du milieu de la BD phocéenne, s’essaie pour la première fois au scénario. Après avoir dessiné plusieurs séries sur les textes d’autrui comme Bad Ass, la tentative réussie de créer des super-héros à la française écrite par Herik Hanna, l’auteur marseillais signe en solo L’Ogre-lion, une trilogie médiévale fantastique avec des personnages anthropomorphes, dont le tome 1 vient de paraître aux éditions Drakoo. Un essai plus que transformé !

 

 

Dès les premières pages du premier volume de L’Ogre-lion, le décor est planté avec une scène d’ouverture d’une efficacité redoutable qui laisse entrevoir la suite sans trop en dévoiler : un colosse à tête de lion avec un œil crevé se jette d’une falaise, tourmenté par la mort de ses propres enfants dont il semble être responsable, alors qu’un campement de religieux au faciès de caprins et de cervidés se fait attaquer par une meute de loups brigands. Le massacre qui s’ensuit est interrompu par l’apparition d’un écorché vif au visage de bouc — serait-ce le « Dieu cornu » que vénèrent ces prêtres ?

Quand le « Dieu cornu » disparaît pour laisser place au lion ressuscité, le jeune Wilt, apprenti prêtre et un des rares rescapés de la tuerie, comprend que le félin héberge dans son corps le « Dieu » écorché vif.

Roi déchu et partiellement amnésique d’un royaume du Sud, Kgosi — car tel est le nom du lion — va prendre sous son aile le jeune Wilt pour tenter de rejoindre son fief. Ces deux personnages que tout oppose constituent un duo aussi improbable qu’attachant, qui sera rejoint par un troisième personnage, Othila, une souris guerrière. Bruno Bessadi brosse ainsi une imposante galerie de personnages animaliers de toutes tailles, des imposants taureaux ou chevaux aux minuscules rongeurs, y glissant même un clin d’œil humoristique avec la figure du Roi Charles qui n’est autre qu’un chien de la race King Charles : vous savez, ces petits chiens dont on dirait les museaux cognés à un pare-chocs de voiture après être sortis de chez le toiletteur…

Vous l’aurez compris, bien que tous les personnages soient des animaux anthropomorphes, on est loin de Disney, mais la violence n’en est pas pour autant gratuite.

Si tous les ingrédients sont ici réunis, dont des combats sanglants à la chorégraphie soignée, pour ravir les amateurs du genre, les néophytes ne sont pas en reste, l’auteur s’appuyant sur un dessin solide, et surtout une narration habile et efficace, qui ne perd jamais le lecteur et s’enrichit des failles du personnage principal.

En plus d’être habité par ce « Dieu cornu » qui se libère à chaque fois qu’il meurt, le lion Kgosi est hanté par un passé qui l’aurait vu tuer ses propres enfants, donnant lieu à des scènes saisissantes qui reproduisent ses visions cauchemardesques. Et c’est là l’un des intérêts de cette BD qui, sous couvert d’un récit d’action rondement mené, n’en oublie pas la dimension psychologique.

On a beau être dans un monde fantastique, l’aspect politique n’est pas occulté. Ainsi, le pouvoir de la religion est entrevu avec la secte du Dieu cornu ; l’esclavage est évoqué avec l’apparition d’une communauté de rongeurs exploitée dans une mine ; sans oublier l’opposition entre les royaumes du Nord et ceux du Sud ; la région d’où vient Kgosi, le lion, ainsi que les esclaves qui servent à la construction d’une immense cathédrale dans le Nord ; mais aussi un monde qui voit cohabiter difficilement les animaux carnivores et les herbivores, population a priori plus faible mais parmi laquelle figurent aussi quelques puissants. Bien loin de tout manichéisme, Bruno Bessadi décrit une société d’individus dans toute sa complexité.

Des pages de croquis viennent parfaire le tout où, en plus de découvrir le superbe travail graphique de Bruno Bessadi, l’auteur nous y délivre de précieuses informations passionnantes sur le monde et les personnages qu’il a créés pour cette nouvelle série.

D’autant plus que la fin de ce volume ouvre sur une approche quasi géopolitique avec une mise en scène des habituelles rivalités de pouvoir, intrigue que nous vous laisserons tout le plaisir de découvrir en lisant ce premier tome enthousiasmant !

Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, Bruno Bessadi participera, en compagnie de son collègue d’atelier Domas, les 19 et 20 mars au concert dessiné autour des musiques des films d’animation de Miyazaki que propose le Conservatoire de musique d’Aix-en-Provence.

 

JP Soares