Nuit d’Hiver # 8

Nuit d’Hiver # 8

Création directe

Huitième édition hors les murs pour Nuit d’Hiver. Le festival marseillais consacré aux formes de l’improvisé délocalise sa programmation « baroquisante » pour cause de travaux à Montévidéo. Mais rien n’est perdu, loin de là. Car le GRIM (1), c’est avant tout l’histoire d’un aventurier avant-gardiste, Jean-Marc Montera, n’ayant pour seule propriété qu’un infini territoire : la création.

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L’interview
Jean-Marc Montera

Alors que vous avez un passé de guitariste rock, qu’est-ce qui vous a attiré et séduit dans la musique improvisée ?
J’ai assisté, dans les années 70, à un concert de Barre Philips et Raymond Boni. Ça a été un déclic : je suis passé des Rolling Stones à la musique improvisée de façon rapide et radicale. C’est ce rapport particulier qu’elle entretient avec le son et l’instrument qui m’a séduit en premier lieu. Je n’ai cependant à aucun moment renié mes origines. La philosophie rock a toujours été là, en moi, même dans les moments les plus radicaux des années 80.

Comment percevez-vous la musique improvisée ? A quel endroit se rapproche-t-elle de l’esthétique baroque ?
Le premier problème est terminologique : le mot « improvisation » regroupe des actions qui se rapportent à des formes totalement différentes. Il est également un peu péjoratif, il peut servir à décrire quelque chose qui n’est pas préparé, une lubie passagère soumise aux quatre vents. De plus, dans la conscience collective, l’improvisation est associée à des musiques comme le jazz, ce qui lui confère un sens idiomatique. Pour ma part, j’ai une pratique qualifiée d’expérimentale, c’est une manière de faire de la musique où l’utilisation de l’ensemble des codes est possible. En perpétuelle évolution, en mouvement, ce n’est jamais fini. Et il existe des passerelles très étroites entre cette musique expérimentale et les musiques baroques, notamment dans la manière dont les musiciens se positionnent face à l’improvisation. Ça ne sonne pas pareil certes, mais la posture philosophique face au son et aux raisons de faire de la musique est à peu près la même.

Comment s’est effectué le choix de la programmation pour cette édition ?
Je choisis les grandes lignes et j’accorde beaucoup d’importance aux rencontres musicales ainsi qu’à l’avis de mes collaborateurs. Je ne prétends pas tout connaître ni tout écouter, et je ne fais pas de la programmation comme je fais de la musique. Ce n’est pas d’être nommé qui m’intéresse, d’être rassuré, ni d’avoir un retour positif sur un résultat. Ce qui m’intéresse, c’est la capacité que possèdent certains artistes à être généreux avec un public. J’essaie donc de créer des interactions avec les spectateurs, mais également des rencontres entre musiciens. Freddy Eichelberger m’a épaulé, dans un désir de composition qui soit aussi pointue dans le champ des musiques baroques que dans celui des musiques improvisées. C’est un ami et un grand connaisseur du genre.

Quelle place occupe Nuit d’Hiver au sein du paysage musical marseillais ?
Tout d’abord, nous avons de la chance d’être à Marseille car peu de villes possèdent un panel musical aussi large. Nuit d’Hiver est devenu un festival qui compte en Europe et j’espère qu’il a autant sa place ici qu’à l’international. J’ai un rapport sympathique et amical avec un grand nombre de structures proches du GRIM. Nous avons d’ailleurs connu un très bel élan de solidarité lorsqu’il a fallu trouver des lieux d’accueil pour cette huitième édition. J’en suis très touché. La mutualisation est vraiment importante, pour tout le monde, mais pas seulement une mutualisation du matériel, il faut surtout mettre en commun du savoir-faire, de la matière grise, dans un désir d’exister à plusieurs.

Quels sont les temps forts de l’évènement ?
Il n’y en a pas, chaque musicien sera un temps fort. Nous avons essayé de faire coïncider au maximum la programmation aux lieux d’accueils. Cette édition sera une expérience aux airs de retour en arrière : j’ai pratiqué le nomadisme pendant vingt ans.

Propos recueillis par Jordan Saïsset

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La vérité est un leurre

La musique improvisée est encore perçue comme un ovni, car volatile et indomptée par les courants dominants. Et comme tout ovni fascine, intrigue ou effraye, il convient d’en esquisser les contours tant bien que mal, avec nos réducteurs et idiomatiques radars. Sûrement trop terrestres.

La pulsion créatrice, à la fois savante et hasardeuse, maîtrisée et chaotique, qui caractérise l’acte improvisé interroge l’humain depuis les années 60. Un humain qui, en quête perpétuelle d’un Tout musical, souhaite abolir une à une les frontières qui s’imposent à lui. Il faut écouter l’hispano-blues de l’excellent Bordelais L’Ocelle Mare (sorte de Ry Cooder latino, un brin baroque et désaxé) qui prolonge son corps à travers sa guitare, elle-même soumise à d’intenses spasmes. Il faut voir l’électrique Thomas Ankersmit, connecté à l’analogique et au digital afin de bâtir, loin, très loin, de nouveaux espaces. Chacun flirte avec l’inconscient afin d’en extirper de quoi déconstruire, un à un, les codes ingurgités. L’interrogation face au geste artistique est constante. Le bien, le mal, l’inné, l’acquis, construction, démolition… En d’autres époques, sous d’autres latitudes, s’adonner à de telles libertés relèverait sûrement de l’hérésie. Il s’agit pourtant de pratiques transgenres qui ont pour essence le plaisir spontané, l’ouverture et le partage de l’intime. Cette généreuse huitième édition de Nuit d’Hiver, concoctée par les chimistes du GRIM, ne nous contredira pas. Un seul coup d’œil sur l’affiche suffit à comprendre qu’ici, l’artiste n’est pas plus roi que son public. Pas de narcissisme inutile, ni de hiérarchie faussement flatteuse et élitiste. Le cœur de la machine est ouvert, il éclaboussera tout le monde. Offrons nous le luxe d’une semaine consacrée aux formes multidisciplinaires de l’improvisé. Et au diable les ancestraux dictats et autres partitions trop étroites ! Autant de vérités ne devenant intéressantes que lorsqu’elles sont contredites. Alors, paré au décollage ?

Texte : Jordan Saïsset
Photo : Cartouche

Nuit d’Hiver # 8 – Barok : du 16 au 21/12 à Marseille. Voir programmation détaillée dans l’agenda du n°272, à paraître le 8 décembre.
Rens. 04 91 04 69 59 / www.grim-marseille.com

Notes
  1. Groupe de Recherche et d’Improvisation Musicales[]