Ni soumission, ni suicide

Ni soumission, ni suicide

Quel immense gâchis. Il y a quelques jours encore, Charlie Hebdo était au bord du dépôt de bilan dans une indifférence quasi générale. Anesthésiés par le flot quotidien de journalisteries ripolinées, on en avait presque oublié qu’une telle voix nous était absolument nécessaire.
Si beaucoup de choses contribuent à édifier une démocratie, l’absence en son sein, bien au chaud, du fou iconoclaste, celui à qui tout est permis, suffirait d’un seul coup d’un seul à la vider de sa substance. Ceux qui nous ont ravi parmi les plus brillants de ces géniaux fouteurs de merde en étaient tout à fait conscients.
Aussi éblouissante que soit la corne d’abondance qui arrose nos sociétés de gavés, « L’homme est par nature un animal politique » (Aristote). Il a et aura toujours besoin d’un idéal pour s’épanouir, là aussi, une évidence et une aubaine pour ceux à qui la démocratie file de l’urticaire. Dans le climat actuel où prédicateurs et apôtres de la déréliction prolifèrent comme vautours sur carcasses, où la politique ne nous parle plus qu’avec des chiffres, laissant le champ de l’idéal à un ramassis de camelots dépressifs, espérons que ce drame nous serve à tous de seau d’eau glacée dans la gueule. L’horreur ne doit avoir pour seule vertu que de réveiller les consciences.
Non, le droit de ne croire en rien et de rire de tout n’est pas une valeur universellement partagée. Oui, nous avons encore des valeurs, hors CAC40, et elles ont besoin d’être défendues. Là encore, les assassins ne s’y sont pas trompés en frappant des symboles.
Oui, la République est laïque, oui, la police est nécessaire à assurer son existence, oui, l’antisémitisme lui est une injure inacceptable et oui, l’Islam est compatible avec ces principes. La réaction de la société française a été à cet égard massive et sans équivoque, à la hauteur de l’attaque qu’elle venait de subir. Mais elle a aussi fait apparaitre au grand jour un clivage dramatique avec toute une partie de sa jeunesse qui, abandonnée depuis longtemps à la marge, ne se reconnait en rien dans ses valeurs républicaines. Il est grand temps pour l’autruche de sortir la tête du sable, elle n’échappera pas plus longtemps à ses responsabilités ; elle a trop longtemps cru acheter la paix sociale au prix de son désengagement dans ces quartiers, l’échec est patent. L’occasion est historique et doit être saisie. Au vu du prix exorbitant qui vient d’être payé, essayons au moins de retirer un profit de tout ça, indignons-nous un poil de cul ! Et refaisons enfin de la politique !

 Laurent Centofanti