Nhobi © Clarisse Treilles

Nhobi, le graffeur du Panier

D’un Panier à l’autre

 

Le Brésilien Nhobi colore les façades de Marseille. Dernier fait d’arme : une fresque à deux pas de la Vieille Charité. Croquis d’un graffeur engagé.

 

La barbe fournie, le teint mat et les yeux cachés par des verres fumés, Fabio Binho Cerqeira, alias Nhobi, descend de son vélo. Ses vêtements sont tachés et son vélo, coloré, à l’image de la fresque qu’il a réalisé avec Loic Seek. Aucun mot, que du dessin, et pourtant, une histoire : la sienne et celle de Marseille, intimement liées, à croire que le destin s’en est mêlé. Le graffeur a grandi à Rio de Janeiro, plus précisément dans le quartier de Grajaú. « Le Panier » en version française… La destinée, on vous dit.
C’est à treize ans qu’il effectue son premier graff. « Au Brésil, on grandit avec l’image que tout vient d’ailleurs, avec une culture importée. C’est un truc qui t’absorbe de génération en génération. Graffer, c’est une révolution. » Vandaliser la rue pour montrer qu’on existe et refuser le système. Son amour du dessin le conduit cependant dans une école de design. A vingt-trois ans, il devient styliste et possède sa propre entreprise. Il participe à la Fashion Week de Rio, gagne même un concours, le Rio Mode Type, qui récompense les nouveaux créateurs. Rapidement pourtant, cette relative gloire ne lui convient plus : « J’étais conditionné. Dessiner pour produire et faire du commerce s’apparentait pour moi à de la prostitution. »
Retour à la case départ. Mais pour une dizaine de lettres à écrire sur des façades d’immeubles saturées, il faut grimper, parfois monter six étages à mains nues et risquer sa vie. « J’étais dégoûté de faire Spiderman pour pouvoir taguer. Mon désir, c’était de me servir de la technique de la bombe de manière artistique. » Une envie née en 1996, avec un premier dessin et un personnage qui lui collera à la peau. « C’était un bonhomme en noir, simple et naïf, mais j’étais satisfait. Voir mon dessin au milieu d’un mur rempli de lettres : c’est là que j’ai compris. » Des années à étudier la technique plus tard, le personnage, jaune cette fois et plus étoffé, se retrouve ici, au Panier.
Entre-temps, Nhobi a rencontré Lia, une Française expatriée qui alterne les petits boulots. Pour elle, il quitte Rio et embarque pour Marseille. Depuis trois ans, il arpente les rues de la ville qui l’inspire, y laisse les traces de son passage et un message : « Le plaisir, c’est pas l’argent, c’est le regard des gens. On pense à combien on va gagner et on a tort. La vie c’est de se faire son expérience pour se faire sa place. » D’où son affection particulière pour un quartier dans lequel « toute la société est représentée. » Il n’y habite pas mais y vient tous les jours, notamment à la galerie Undartground, qui vend ses toiles et ses t-shirts.
Assis sur les marches de la rue du Petit-Puits, il tourne la tête vers sa fresque et la balaie du regard. Marinière, bérets, drapeaux brésiliens et marseillais… Sur le mur, les cultures se mélangent. Au centre, un pécheur sur sa barque distribue des poissons. « Pour revenir à bon port, il a dû affronter les déchaînements de la mer. Il y a une métaphore. Je veux dire aux jeunes qu’il y a un espoir. Il faut qu’on se bouge, qu’on fasse quelque chose. Il faut surmonter des épreuves pour vivre vraiment. » Évidemment, « il y a une histoire, mais chacun peut l’interpréter comme il veut. » Le personnage a la bouche grande ouverte, comme s’il voulait prendre la parole. Qui sait ce qu’il pourrait raconter. « A vous de l’imaginer ! »

Mathilde Gérard

 

Undartground : 21 rue des Repenties, 2e.
Rens. www.undartground.com