Nadège Prugnard © Alex Nollet

Nadège Prugnard

Les lois de l’attraction

 

Après Fado dans les veines en mars, l’autrice Nadège Prugnard présente deux textes cette quinzaine à la Biennale des Écritures du Réel, No Border et Feu ! Ceci n’est pas une pipe ni une introduction à la lecture de Karl Marx. Entre le phrasé et l’interprétation, entre la mise en scène et le brûlot politique, la frontière se veut volontairement mouvante et questionne le drame de la société.

 

 

Il existe une écriture de terrain qui s’immerge dans le quotidien des minorités, des laissés-pour-compte, là où les corps sont tirés à l’extrême, affrontant la faim, la maladie, la promiscuité, les violences policières, l’humiliation. Quel est donc ce monde qui transforme une démocratie en état policier, quand il s’agit de cacher les déshérités pour laisser libre court au commerce et au tourisme ? Pour que la ville ressemble au billboard d’une famille unie et joyeuse déambulant dans une allée fleurie, au bord d’un immeuble destiné à sortir de terre.

Sur une commande du metteur en scène Guy Alloucherie, Nadège Prugnard s’est immergée pendant deux ans dans la jungle de Calais, une ancienne déchetterie proposée par la mairie afin que les migrants ne squattent plus le centre ville. Dans cet espace limité où le nombre des migrants devient illimité, les associations s’organisent pour l’aide médicale, les repas, l’éducation. Des espaces de prières et des cafés-boîtes de nuit redonnent le goût du partage et d’un semblant de vie. Face à tant d’inventivité, l’État a donc décidé d’évacuer le terrain, renouant avec le geste ancestral de la ratonnade, de la rafle, des corps que l’on traine au sol devant les caméras à une heure communiquée par avance. Des bus bondés qui attendent sur le parking, montrant à la face du monde que ces gens ne sont pas la France et qu’il n’y a donc pas lieu de les ménager. Soudanais, Libyens, Erythréens, toutes ces personnes ont un nom et un prénom qui sera utilisé pour les renvoyer vers un soi-disant chez eux. No Border est un poème tragique en cinq actes, une tentative de reconstruction par l’amour où l’intime rencontre le politique.

Avec Feu ! Ceci n’est pas une pipe ni une introduction à la lecture de Karl Marx, Nadège Prugnard répond à une commande du CDN de Montluçon sur la question : « Quelle sorcière contemporaine êtes-vous ? ». Elle écrit en résidence dans une cellule de la Chartreuse de Villeneuve-Lez-Avignon. Comment exposer les poisons et la dystopie de la société en prônant une révolution par la non violence ? Nadège Prugnard rencontre l’activiste et ancien détenu d’Action Directe Jean-Marc Rouillan, condamné à dix-huit ans de prison pour complicité d’assassinat de l’ingénieur en armement René Audran en 1985. Bénéficiant du régime de semi-liberté depuis 2011, Jean-Marc Rouillan a beaucoup écrit sur les conditions d’incarcération et d’isolement des détenus condamnés pour terrorisme. Nadège Prugnard s’intéresse également aux conditions de détention de la bande à Baader (cellules insonorisées) et plus particulièrement d’Ulrike Meinhof, ex-journaliste qui hébergera, puis rejoindra le groupe dans la clandestinité en 1970. « Je crée un personnage de théâtre à partir du personnage de Meinhof. Je renverse l’apologie du terrorisme pour parler d’amour. »

 

Karim Grandi-Baupain

 

 

No Border : le 28/05 au Théâtre La Cité (54 rue Edmond Rostand, 6e).

Feu ! Ceci n’est pas une pipe ni une introduction à la lecture de Karl Marx : le 1/06 à la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).

Rens. : www.theatrelacite.com/biennale-2022/