La Mouette de Tchekhov, mis en scène par Thomas Ostermeier © Arno Declair

Retour sur La Mouette de Tchekhov, mis en scène par Thomas Ostermeier à la Criée

Tourments comme ils respirent

 

Pour sa deuxième création en français, le maître allemand Thomas Ostermeier revisite La Mouette de Tchekhov, dans une traduction inédite d’Olivier Cadiot.

 

« Mon œuvre entière est imprégnée du voyage à Sakhaline. Qui est allé en enfer voit le monde d’un autre regard. » Cette citation de Tchekhov de 1890 sur son passage au bagne de Sakhaline, qui accueille les spectateurs, suggère le contexte politique dans lequel a vécu l’auteur avant qu’il ne soit déjoué, au profit d’un ancrage plus actuel de la pièce.

Aucune fausse note dans cette mise en scène léchée du co-directeur de la Schaubühne de Berlin. Un décor moderne, voire monotone, gris, fonctionnel grâce à une grande estrade autour de laquelle les comédiens « off » sont toujours à vue sur des banquettes.

En fond de scène, la peintre Marine Dillard s’appliquera, le temps des quatre actes, à figurer à grands et petits coups d’aplats noirs le lac symbolique, façon estampe japonaise, avant de le fondre méthodiquement dans un noir à la Soulages.

En avant-scène, à cour, les comédiens qui jouent Macha, la dame en noir dépressive (Bénédicte Cerutti), et Medvedenko, le professeur embarrassé (Cédric Eeckhout), entament au micro les premières notes de la « comédie » avant d’improviser sur la Syrie, dans un souci de conjuguer au présent le verbe tchékhovien.

La Mouette, peut-être la pièce du médecin russe qui parle le plus de modernité et d’art, est ici traitée avec tous les atouts de notre époque ou presque : David Bowie et The Doors convoqués dans une bande sonore dépouillée et élégante jouée par Sébastien Pouderoux (Dorn, le médecin), costumes au goût du jour — lunettes de soleil noires pour Valérie Dréville (qui joue impeccablement l’hystérie narcissique d’Arkadina), jogging pour Treplev —, Maupassant troqué contre Houellebecq…

Dans un aparté de style « stand up », Mathieu Sampeur, qui incarne le jeune auteur Treplev à l’Œdipe monstre, disserte sur les poncifs du théâtre contemporain, tels l’omniprésence des néons ou des acteurs à poil ou en slip. Justement, la pièce de Treplev jouée par l’aspirante actrice Nina (Mélodie Richard, qui réinvente le mot candeur) dans la fiction, use certaines de ces marques de fabrique du théâtre dit d’avant-garde : vidéo, son trafiqué, abolissement du personnage, sang et bélier mort (référence à l’Inferno de Castellucci qu’on n’a hélas pas vu, nous glisse-t-on dans l’oreille).

Où se situe alors Ostermeier dans cette chronologie créative ? Les enjeux de la pièce — l’amour lancinant, les nouvelles formes, le conflit des générations — sont questionnés très justement et servis par des acteurs hors pair. Cette froide perfection laisse toutefois un peu de marbre, l’audace et l’engagement s’en trouvant trop retenus, asservis dans une pièce-monument, une œuvre muséale qui relèverait plutôt du néo-classicisme.

Barbara Chossis

 

La Mouette de Tchekhov, mis en scène par Thomas Ostermeier, était présenté du 12 au 14/10 à la Criée (Marseille).