© Sam Taylor-Johnson, Bram Stoker’s Chair VII

Une mouette et autres cas d’espèces par Diphtong Cie au Théâtre du Gymnase

L’Interview
Hubert Colas

 

Dans Une Mouette et autres cas d’espèces, Hubert Colas poursuit son exploration des écritures contemporaines en convoquant six auteurs pour réécrire la pièce mythique de Tchekhov. Rencontre avec l’auteur et metteur en scène autour de la création.

 

Vous faites un parallèle entre Hamlet et La Mouette, quelles sont les ressemblances entre ces deux pièces d’après vous ?
Il y a d’abord les références directes que Tchekhov y met, il en fait même des citations par moments. Ensuite, la structuration de La Mouette est quasiment la même qu’Hamlet sur les figures principales : Treplev, le jeune auteur-metteur en scène est la figure d’Hamlet, Arkadina celle de Gertrude, Trigorine celle de Claudius et Ophélie se retrouve elle aussi partagée entre Nina et Macha. Ce sont les mêmes composantes, à part que l’enjeu qu’on retrouve ici n’est pas un enjeu de pouvoir politique mais de pouvoir littéraire. La dualité se fait à cet endroit-là et l’équivalence se retrouve également en termes d’affectif. Chez Hamlet, il y a aussi des enjeux d’amour, et il y a dans La Mouette le même dispositif. On a l’impression que Tchekhov a été inspiré, qu’Hamlet l’a impressionné au sens d’une mémoire et qu’il s’y est glissé en réinventant une autre pièce.

 

Qu’est-ce qui fait sens aujourd’hui dans La Mouette ?
C’est le chemin des artistes, de la littérature et de l’œuvre en soi. A quel moment une œuvre résonne-t-elle dans le monde d’aujourd’hui ? A quel endroit l’implication de l’artiste fait sens dans sa vie et en fonction de ce qui se passe autour de lui ? C’est en ce sens que la pièce de Tchekhov fait œuvre dans une contemporanéité car elle est réécrite par des auteurs d’aujourd’hui. Tchekhov et la pièce ne parlent pas de maintenant dans son écriture ; elle nous raconte des choses de l’humanité : les écrits des auteurs sur les relations humaines dépassent toute époque, c’est la structuration de la modernité finalement qui change, et le propos de la littérature utilisé ici existe de tout temps. Or, ce qui m’a le plus intéressé c’est la façon dont des auteurs d’aujourd’hui se saisissent de cette langue, de ce propos et du débat intergénérationnel qui existe dans La Mouette. Les oppositions qui existent entre Treplev et Trigorine m’intéressent pour interroger ce qui avec le temps transforme un être humain.

 

Pourquoi avoir choisi une réécriture plutôt que le texte original ?
C’est un ensemble de choses qui m’ont amené à demander à des auteurs de réécrire La Mouette. D’abord, l’histoire de ma compagnie et d’avoir dans un premier monté mes propres textes, en tant qu’auteur-metteur en scène, puis d’avoir choisi ensuite Gombrowicz qui était une écriture aux antipodes de ce que je pouvais écrire moi-même mais qui m’intéressait au sujet des relations interhumaines : la façon dont nous interagissons les uns avec les autres et nous transformons suivant comment les gens nous pressentent. Cette dualité de l’existence existe chez Gombrowicz, et Le Mariage est en réalité une satire d’Hamlet. Par le chemin de ces deux pièces, j’en suis arrivé à me dire que si je montais des pièces non contemporaines, elles seraient hantées par Hamlet. Et le travail parallèle que je fais à Montévidéo ou dans le cadre du festival Actoral — une occupation d’écoute des auteurs contemporains — m’ont amené à me questionner sur la pièce de Tchekhov, où se posent les questions de la littérature, des formes, des générations, de ce qui pousse un écrivain à écrire. Je me suis alors demandé ce qui poussait des acteurs à jouer une langue d’aujourd’hui et je me suis dit que le plus juste était de convoquer des écrivains pour donner une parole de leur époque aux acteurs. Si les acteurs questionnent la forme théâtrale ou la forme de la littérature, autant que ça soit avec des auteurs d’aujourd’hui qui leur racontent par leurs filtres à eux le monde et les dualités qu’ils perçoivent à travers la littérature.

 

Pourquoi ne pas avoir réécrit vous-même la pièce ?
J’aurais pu, c’est vrai, mais ça s’est fait comme ça. J’ai beaucoup d’activités ces dernières années avec le fait d’avoir créé un espace pour les écrivains, un festival pour aider à la fois de jeunes compagnies et servir la nécessité selon moi de faire entendre des formes contemporaines. Toutes ces choses ont évolué et m’ont fait prendre des chemins un peu différents. Ce n’est pas que mon écriture ne m’exciterait plus ou serait derrière moi, mais elle est plus compliquée en ce moment en termes de temps et mon amour pour les écrivains est tel que je souhaitais partager ça en me disant qu’il n’y avait pas qu’un écrivain qui pouvait parler de la forme contemporaine, mais que c’était important aussi pour les acteurs comme pour les spectateurs d’apporter différentes perspectives d’écriture des auteurs d’aujourd’hui. Tant par rapport à des auteurs qui écrivent pour le théâtre que pour la poésie ou la littérature. Convoquer des auteurs au courant qu’ils seraient avec d’autres pour parler de leur écriture, des formes contemporaines et de ce qu’elles révèlent, m’était extrêmement important. Cette démarche rejoint celle que je peux avoir avec Montévidéo ou le festival Actoral. C’est comme si ce spectacle mettait en relief toutes les activités que je mène depuis quelques années.

 

Qu’est-ce que le contemporain d’après vous ?
Vaste question ! Je n’aurais pas forcément la prétention d’y répondre ! Il y a deux choses. Il y a une notion de la durée dans les œuvres. Il est très difficile de mesurer ce qui va être conservé dans les années futures et qui fera sens en termes d’une écriture qui puissent parler à toutes les époques. Encore faut-il qu’une écriture parle à toutes les époques ou parfois, une écriture contemporaine doit-elle être un événement ponctuel comme une performance et qui sème à travers le public et les artistes quelque chose d’une régénération, de l’ordre du regard comme de la forme. On a besoin d’une certaine façon des écritures contemporaines et des avant-gardes pour mieux comprendre ce que les écritures du passé faisaient et comment elles ouvrent au monde d’aujourd’hui. Penser qu’une écriture est contemporaine est lié autant à sa forme qu’à son contenu. Le contenu traverse les époques, qu’il s’agisse de pouvoir ou d’amour, ce sont des choses extrêmement proches des gens et sensibles, et c’est l’humanité d’un auteur qui à travers sa propre vie et son écriture le dépassent et se traduit par des mots et des sensations. Ensuite vient la question de l’époque dans laquelle on vit : qu’est-ce que cette perte du politique, cette mondialisation qui est en train d’étouffer la progression de l’être humain, l’exigence de la part moins des politiques que des capitalistes de vouloir absolument faire en sorte que l’on soit embrigadés dans une forme de la commercialisation des rapports humains qui fait que c’est dans ce relief là que l’on peut questionner une certaine idée de la modernité. Comment est-il possible de parler aujourd’hui du politique à travers des œuvres, je ne sais pas, peut-être tentons-nous de questionner cela sans donner réellement de réponse à travers les auteurs qui ont réécrit La Mouette. Je n’aurais pas envie de définir ce qu’est la forme contemporaine, elle évolue constamment. Je pense qu’il y a des artistes qui ont des capacités de traduire ce qu’ils sont et ce qu’il y a autour d’eux avec une fulgurance incroyable et ceux-là sont des grands artistes.

 

En tant qu’auteur, quelles questions vous taraudent ?
Je pense que nous sommes à un point charnière. Peut-être que j’aime à le penser parce que la situation dans laquelle nous sommes est extrêmement difficile. Nous sommes dans l’un des pays les plus riches du monde et en même temps, on voit bien qu’il y a un malaise global qui n’est pas simplement le fruit d’aujourd’hui mais aussi du passé, de la colonisation/décolonisation, de la possibilité d’un pays au pouvoir d’exercer la suprématie de sa pensée sur les autres. Aujourd’hui, nous payons ça d’une certaine façon. Les retours du terrorisme sont un des exemples majeurs de ce qui est en train de se passer. Nous payons par rebond ce que les générations précédentes ont fait et nous avons un mal fou à régir ça car ce sont les règles du commerce qui, encore une fois, tuent la puissance humaine, qui font que visiblement, il est impossible aux hommes politiques ou aux nations de donner une perspective humaine à la nécessité de continuer à vivre. Aujourd’hui, il n’y a pas de discours là-dessus, il n’y a que des discours économiques. Le président de la République dit que s’il n’arrive pas à faire baisser le chômage, il ne se présentera pas et en même temps, on sait que ce que met en place le capital à l’heure actuelle revient à réduire le nombre de travailleurs au travail pour faire des bénéfices. Nous avons deux chemins antinomiques qui ne peuvent pas donner une valeur d’humanité aux gens pour mettre des perspectives dans leur vie. Donc si je pouvais raconter quelque chose et si j’avais la force ou le talent de le raconter, j’essaierais de comprendre, sans en donner un discours et sans en faire un théâtre politique, comment les humains vivent aujourd’hui avec le conflit qui les entoure.

 

Vous attachez une grande importance aux problématiques d’acteurs, parlez d’écriture de plateau… Comment s’est déroulé le travail avec eux ?
Nous sommes à dix jours de la première, donc il y a un phénomène de rassemblement de tout ce qu’on a semé dans ces écritures. Nous questionnons la représentation des écritures que chaque auteur nous a données. Chaque écriture nécessite des formes de corps différentes et nous tentons de créer un chemin dans lequel le public va se retrouver dans ces différentes interprétations de la pièce de Tchekhov. L’écriture de plateau, c’est questionner le statut de l’acteur, la façon dont il se saisit de ces écritures, les fait siennes et y trouve l’oralité. Nous sommes encore en travail et il est très difficile pour moi d’y porter déjà des conclusions. Hier, nous essayions de finaliser l’acte I pour pouvoir enclencher le deuxième écrit par un autre auteur. L’écriture de plateau se réfère à la création par l’improvisation sur une thématique au sein d’un collectif. Pour nous, la question est plutôt de comment passer d’une écriture à une autre. Nous travaillons sur l’intuition vis-à-vis de ces écritures et l’intimité de ce qu’elles touchent chez chacun des acteurs pour comprendre la scène.

 

Comment ces différentes propositions sont-elles reliées ? Avez-vous trouvé le fil invisible qui les lie les unes aux autres ?
Le fil est le fantôme de la pièce de Tchekhov. Nous mettons en éveil le fait que nous serions plus une bande d’acteurs qui se saisit d’une pièce mythique et s’interroge sur pourquoi monter cette pièce aujourd’hui. Et nous faisons cette action en direct avec le public. Un des fils rouges est le statut même de l’artiste qui décide de travailler un texte et d’en faire son propre corps, et de le révéler au moment où ça se passe. Le fait qu’il s’agisse de théâtre dans le théâtre fait que le statut même de l’acteur et de la représentation est un statut ouvert au public. Les figures que les acteurs portent qui se retrouvent d’acte en acte sont composées différemment par les auteurs. Chacun des auteurs se saisit d’une forme liée à son écriture pour trouver l’expression de la littérature, du théâtre et de l’affectif. Tchekhov, comme Shakespeare, met en dualité ce qui gouverne les hommes, l’affect, l’amour, et son déterminisme de vie, qu’il soit politique ou la création de ce qui va épanouir sa vie dans son activité propre, c’est-à-dire une autre forme de création, et comment cette création rencontre l’amour. C’est la réalité de ce que nous vivons : qu’est-ce qui prend le pas ? La relation amoureuse ou la création de soi dans l’univers ? Est-ce que cette création de soi dans l’univers a réellement une importance ? Qu’est-ce que ce temps éphémère que nous traversons au fil des époques ? En sachant que nous sommes condamnés, ainsi que la planète.

 

C’est en effet ce que Sound of Music de Yan Duyvendak (Actoral 2015) martelait joyeusement…
Ce n’est pas tout à fait la même condamnation, il exprimait une condamnation de ce que représente la modernité et du mauvais traitement infligé à la Terre, mais que nous la traitions bien ou mal, elle est de toute manière condamnée car les planètes sont vouées à disparaître. Il y a un phénomène d’accélération de cette destruction par la puissance noire de l’homme, représentée par les guerres et la maltraitance, une part de nous qui doit avoir peur de la mort et la provoque. Au final, ce sont toujours les mêmes questions qui nous taraudent. Ce qu’on vient voir en tant que spectateur, c’est au-delà du divertissement, une interrogation sur l’existence.

 

Y a-t-il eu contamination entre les écritures, après que les auteurs ont lu l’acte précédent ou suivant celui qu’ils avaient en charge ?
Cela dépend des auteurs. De façon modérée, à quelques expressions près, ça a modifié des choses chez certains. D’autres propositions sont restées quasiment en l’état tant elles étaient originales ou particulières. Certaines collent à la structure de la pièce de Tchekhov, d’autres réinventent complètement un univers.

 

Vous dites qu’étonnamment, elles privilégient la distance plutôt que l’affect…
C’est ce qui semble en effet. En questionnant l’endroit de leur écriture, l’enjeu de la littérature s’est imposé sur celui des affects. Encore que le fil rouge tendu par la mémoire et le fantôme de Tchekhov nous oblige dans l’écriture de plateau à relier les différentes formes par le fil de l’affect, dont les comportements sont relativement différents à chaque fois. Mais nous sommes multiples dans nos rapports amoureux, nous ne sommes pas qu’un, nos échanges varient, quotidiennement si nous nous en donnons la peine.

 

Cinq écrivaines et un écrivain pour réécrire La Mouette… D’où vous est venue l’idée de faire appel principalement à des femmes pour traiter d’une pièce qui parle d’hommes ?
Cela n’a pas été une volonté consciente. J’aime tous ces écrivains, j’ai travaillé avec la plupart d’entre eux dans le cadre d’Actoral et il y a eu comme une évidence. J’ai créé un texte d’Annie Zadek l’an passé, que nous allons reprendre dans un mois. Dans son œuvre, elle travaille déjà sur la réécoute des écritures. Avec Liliane Giraudon, nous nous étions déjà rencontrés autour de La Mouette et avions alors imaginé de la retraduire. Nathalie Quintane a été une des marraines d’Actoral et j’aime beaucoup la pertinence légère, cruelle et poétique de son œuvre, je trouve qu’elle a une pertinence dans la littérature contemporaine extrêmement forte. Chez Edith Azam, il y a une puissance liée à l’affectif, au trouble vers l’autre, relief que je trouvais important dans la pièce. Angélica Liddell a une écriture de théâtre magistrale d’une part et qui résonne par le fait qu’elle s’implique elle-même en tant qu’auteure, actrice et metteure en scène. La préoccupation qui existe dans la pièce de Tchekhov est d’une certaine façon la sienne. Il ne s’agit pas seulement d’un conflit sur ce que représente le théâtre, mais aussi sur ce que représente l’écriture et la nécessité de l’implication de son propre corps dans l’écriture. Quant à Jacob Fren, que j’ai découvert au Canada, il s’implique dans la littérature et la performance, et j’ai trouvé qu’il y avait dans un de ses textes quelque chose lié à la famille et à la littérature, quelque chose d’important et qu’il y avait un chemin d’écoute par rapport à l’œuvre de Tchekhov.

 

Y a-t-il un regard singulier porté par les cinq auteurs femmes ?
Il y a un regard singulier lié à leur existence. Parlent-ils de leurs propres positions en tant qu’auteurs à travers l’œuvre de Tchekhov en vivant ce que représentent le temps, le vieillissement, la perte de la jeunesse dans la figure d’Arkadina, le lien à l’amour et ce que dévore la nécessité d’être artiste ? Un des auteurs s’est saisi de cette particularité et l’a traduit à travers son prisme. D’autres se saisissent de la dimension affective de ce que représentent les interdits. Ce qui se dessine dans cette nouvelle œuvre fantomatique de Tchekhov, c’est la question de la censure : la pièce est-elle teintée par la censure de l’époque ? Dans quels champs de la modernité s’est-elle écrite ? Les auteurs saisissent différents prismes pour traiter ça. Notamment l’idée que toutes ces figures pourraient être des artistes et la question de l’existence d’une hiérarchie dans le champ artistique : les artistes ont-ils tous la même présence dans leur art ? Quelle est leur nécessité ? Ils posent tous des questions sur leur propre imprégnation par rapport à l’œuvre qu’ils sont entrain d’écrire. Il y a forcément des implications diverses. Le temps et l’âge jouent. De même, un spectateur analyse ce qu’il voit et écoute en fonction de sa propre vie. Un spectateur de vingt ans se sentira-t-il plus proche de Nina et Treplev chez Tchekhov, ou verra-t-il à travers Arkadina ou Trigorine une figure parentale qui lui parlera plus et mettra en relief sa propre vie ? C’est une interaction permanente et c’est aussi à cet endroit que les auteurs écrivent.

 

Il y a aussi une certaine forme de hiérarchie entre le public et les artistes sur scène, ceux qui regardent et ceux qui montrent. Comment traitez-vous le rapport avec le public dans cette pièce ?
Par la forme et ce qui habite beaucoup mon travail, soit un cadre de représentation immédiat où l’oralité et l’écriture semblent s’inventer spécifiquement pour ce qui est en train de se passer. Essayer de comprendre comment l’acteur se met en prédisposition de cet état et se prépare à rencontrer le public pour qu’une improvisation de la langue ait lieu au temps présent. Accepter que la présence du public soit un élément de la manifestation théâtrale. Il n’y a pas de théâtre sans public. Il y a un engagement d’humanité entre l’œuvre présentée et le public. Il y a quelque chose de l’ordre de l’inouï d’être au même endroit au même moment et de partager cette vie que nous menons. Le théâtre pose un temps particulier à cette expression de la vie en communauté. Le théâtre est un paradoxe en réalité dans nos vies.

 

Le théâtre est présent dans la pièce, et vous avez confié l’écriture des passages de monologues à un des acteurs…
Oui, Florian Pautasso, qui joue Treplev, est acteur, auteur et metteur en scène et présente son propre texte dans la pièce. Il y a ainsi à l’intérieur du spectacle une réelle mise en abime de ce que représente la pièce. Par un fruit du hasard, à part pour Florian, il s’avère que quatre des acteurs sont aussi metteurs en scène.

 

Vous dites qu’Angélica Liddell éprouvait une forme de rejet de cette « pièce bourgeoise » comme elle la définit, et que l’épilogue qu’elle a écrit contient une critique de votre désir de monter cette œuvre. Quelle réflexion son propos vous a-t-il inspirée ?
Je comprends très bien son positionnement d’artiste. Son exigence, son implication personnelle, la nécessité qu’elle a à mettre en scène sa propre vie sur un plateau, la dualité corporelle avec la mise en danger que cela suscite pour le spectateur et peut-être pour elle-même, impose sa création théâtrale comme un état d’urgence, de survie où git un besoin de ressentir les limites et d’où naît quelque chose d’un surplus de l’existence. Elle met en opposition à travers son théâtre et d’autres la non nécessité de certains artistes ou acteurs d’être là. Le théâtre de certains serait un théâtre social, de la représentation de soi-même dans une conformité bourgeoise à vouloir être admiré, tandis que l’endroit où elle s’implique est un endroit de vie, de froissement, où ce qu’elle entend des relations affectives et au temps engage une nécessité. Ce n’est pas un hasard si après ses représentations, elle est dans l’incapacité de rencontrer qui que ce soit. Elle n’a pas la nécessité de rencontrer son public ensuite pour qu’on la félicite, son implication à l’art va bien au-delà de cela. Sa tentative artistique possède cette fracture impérieuse d’elle-même sur le plateau. Quand elle lit La Mouette de Tchekhov, elle y voit une réflexion sur la représentation d’un théâtre qui peut nous paraître aujourd’hui conventionnel ou bourgeois. Tchekhov a écrit une satire de la petite bourgeoisie ; or, souvent, quand elle est montée aujourd’hui, cette satire n’apparaît pas. Pourtant, quand elle le lit, elle se rend compte que Tchekhov va plus loin et que ce qu’il écrit, c’est son implication fondamentale en tant qu’être humain dans le théâtre et aussi en tant que docteur. Son chemin de vie entre son premier métier et son amour de la littérature s’inscrit dans son œuvre. Il s’impliquait autant qu’il était possible de le faire à son époque. Il était à cette période révolutionnaire dans sa forme, il a considérablement transformé le théâtre et est l’une des portes de la modernité théâtrale d’aujourd’hui.

 

Propos recueillis par Barbara Chossis

 

Une mouette et autres cas d’espèces par Diphtong Cie : du 26 au 30/04 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er).
Rens : 08 2013 2013 / www.lestheatres.net

Pour en (sa)voir plus : www.diphtong.com