Médéric Gasquet-Cyrus

Motchus, le jeu en ligne de Médéric Gasquet-Cyrus et Denis Beaubiat

L’entretien La tchatche

Médéric Gasquet-Cyrus

 

Le jeu en ligne Motchus, qu’il a créé avec Denis Beaubiat, connaît un succès fou de fada sur la toile depuis quelques semaines. Ça valait bien un coup de fil à Médéric Gasquet-Cyrus, aka Médé sur les internets, chercheur en sociolinguistique et spécialiste du « parler marseillais » depuis plus de vingt ans.

 

 

En phonétique, cette manière qu’ont les Marseillais d’aller à la Valentchine et de jouer au Motchus, on appelle ça l’affrication des plosives vélaires et dentales en position prévocalique. D’où ça vient ? N’est-ce pas un peu péjoratif ?

C’est un trait de prononciation, une habitude articulatoire, une façon de parler commune à un groupe, comme les accents américains et anglais en quelque sorte, qui se propage ensuite.

Ça ne concerne que les sons « de » et « te », et uniquement devant certaines voyelles, ça ne se prononce pas devant le « A » par exemple.

Ce n’est pas péjoratif, même si c’est perçu comme très populaire ; ce n’est pas l’accent le plus « classe », donc des gens peuvent s’en amuser…

 

En jouant au Motchus, on a l’impression que le vocabulaire marseillais est très riche quand il s’agit de critiquer, qu’il comporte beaucoup de mots insultants…

En effet ! C’est peut-être culturel, car ici, on a beaucoup tendance à chambrer, à dire « C’est un pébron, un ensuqué, un mouligasse… ». C’est très marqué localement.

Il a une autre particularité, c’est de se moquer des maigres : fifi, maigrichon, esquichon, gisclet… Mais on a peu de mots pour dire que quelqu’un est gros. Sans doute parce qu’au moment où le parler marseillais s’est formé, fin 19e-début 20e, on se moquait des maigres plutôt que des gros parce qu’être bien-portant était synonyme de richesse.

 

On en a pour combien de temps à jouer au Motchus ? Autrement dit, combien de mots dans le dico ? Est-il amené à s’étoffer ?

J’ai fait une mise à jour et il y a 1 700 mots. Si on divise par 365, ça fait quatre ans environ. Mais je ne suis pas sûr qu’on va jouer quatre ans. Tant que les gens s’amusent, on joue, mais si on voit que ce n’est plus le cas, on passera à autre chose.

 

Comment savoir ?

On voit le nombre de connections chaque jour. On a en moyenne 15 000 joueurs par jour.

 

Et tu connais le taux de réussite aussi ?

Non. On peut le déceler aux commentaires des joueurs. On sent que le mot du dimanche est plus difficile par exemple ; c’est fait exprès d’ailleurs.

 

Ah bon ?

Je ne choisis pas les mots aléatoirement. Il y a une dynamique : un mot compliqué le dimanche, c’est-à-dire un mot rare, ancien ; puis un mot très facile le lundi pour se faire pardonner, un mot très courant que même un Parisien qui débarque Gare Saint-Charles peut connaître ! Et après, ça progresse en difficulté jusqu’à la fin de la semaine.

 

Et le dimanche, c’est parce qu’on a plus de temps ?

Voilà, j’essaie de pourrir le dimanche des gens ! (rires) Et les mots de cinq lettres sans l’initiale, c’est pour emboucaner aussi. (rires)

Et en dehors de cette dynamique, si c’est possible, je vais choisir le mot du jour en fonction de l’actualité. Par exemple, le bàbi du 10 avril. C’est un mot péjoratif, qui témoigne du racisme à Marseille, et il me semble qu’on parle beaucoup de racisme en période d’élections.

Et comme je m’attendais un peu au résultat du premier tour, j’ai choisi le mot nifler pour le lundi ! Beaucoup de gens m’ont d’ailleurs fait remarquer que ça tombait bien.

 

Motchus fait beaucoup parler sur Twitter. Les gens réagissent, t’invectivent… On en veut pour preuve le « muge d’avril » (l’interjection Ayaaaaaaaaa) !

Qu’est-ce que j’ai rigolé ! Si on tient jusqu’au 1er avril prochain, on va m’attendre au tournant !

En plus de réactions sur Twitter, je reçois aussi beaucoup de messages privés, même de gens que je ne connais pas, qui me demandent un indice en suppliant. Mais je ne donne rien, à dégun, même aux proches, je suis incorruptible !

Ce qui est intéressant dans ce jeu, c’est justement ce côté communautaire. Quand on l’a fait, c’était avant tout pour s’amuser. Et puis on s’est rendu compte que les gens avaient envie d’en parler. Non seulement pour se moquer les uns des autres, mais aussi pour discuter du sens des mots, de l’orthographe, de souvenirs particuliers… Ça fait communauté.

 

Il y a des mots dont on ne savait pas qu’ils étaient « marseillais ». Comme les cébettes, ou la vergogne par exemple, qu’on emploie plus volontiers dans un sens littéraire.

C’est très courant en fait. Si on prend les mots qui ne sont employés qu’à Marseille, il y en a dix : le oaï, rointer… Mais ce parler marseillais, c’est le français parlé à Marseille, donc ça n’exclut pas qu’il soit parlé ailleurs. Vergogne, c’est un mot employé dans tout le Sud à la base, qui s’est étendu au reste de la France. Comme bastonner, qui vient du vieux provençal et qui est devenu commun.

Les verbes caguer et péguer sont aussi employés à Toulouse, dans le même sens.

 

Comment expliques-tu le succès du jeu ? Le Sutom a beaucoup de succès aussi bien sûr, mais le Motchus a sa petite notoriété désormais. Est-ce dû au chauvinisme marseillais ?

Avec le Sutom, tu cherches un mot, tu le trouves et c’est fini, tu ne vas pas en discuter parce que c’est du français courant. Alors qu’une fois que tu vas trouver le Motchus, tu vas forcément te faire une réflexion : « Je ne savais pas que c’était marseillais », « Ça fait longtemps que je l’ai pas entendu », « Ma grand-mère disait ça »… Sans compter les définitions, les références littéraires ou l’ancrage contextuel qu’on a rajouté au bout de quelques jours. Ça crée du débat. C’est ça qui fait que le jeu est différent. Au-delà de la combinaison des lettres, on se teste : est-ce que je connais le parler de chez moi ? Est-ce que je suis bien intégré ? Ça crée une implication.

De fait, on a une communauté carrément accro : à minuit, on a un pic de connexion. Je nique un peu le sommeil de gens. (rires)

 

Si tu étais élu Président de la République, quelles seraient tes premières mesures ?

J’imposerais Motchus tous les matins à l’école de la République ! (rires)

Et je procéderais à la dissolution de l’Académie française, qui ne sert à rien et coûte un argent fou. Elle ne fait pas son boulot, qui n’est pas de fabriquer une langue étriquée, mais de défendre une langue vivante. Je ferais en sorte que les gens s’approprient leur langue, réfléchissent à leur propre pratique. Il faut mettre un peu de liberté dans la langue qui, surtout à l’écrit, est vécue sous le mode de la terreur et de la soumission.

J’en ai marre d’entendre « Aya Nakamura, c’est pas du Baudelaire ! » Ben non, c’est pas du Baudelaire, mais si tu veux danser, tu vas lire un poème de Baudelaire ? Ça n’a pas de sens.

On a une telle obsession du littéraire — et dieu sait que j’aime la littérature française — dans ce pays, c’est insupportable. Je déteste l’expression « la langue de Molière » : le français, ce n’est pas que la langue de Molière ou d’autres écrivains francophones, c’est aussi la langue de Jul, celle qui est parlée dans la rue. Il y a plus de locuteurs de français en Afrique subsaharienne qu’ailleurs aujourd’hui, il faut s’en rendre compte.

 

Le but de Payet contre le PAOK Salonique… Pourrais-tu le décrire en version marseillaise ?

C’est dur, parce qu’il est tellement parfait ! Ce qui m’est venu, c’est « Putain, qué frappasse ! », mais c’est vraiment pas classe, contrairement à ce geste !

 

Propos recueillis par Cynthia Cucchi

 

Retrouvez Motchus tous les jours ici : https://motchus.fr/

Rattrapage avec le Motchus 51 (le Motchus d’il y a 51 jours) ici : https://motchus.fr/51/

Retrouvez la chronique « Dites-le en marseillais » de Médéric Gasquet-Cyrus du lundi au vendredi sur France Bleu Provence : https://www.francebleu.fr/emissions/dites-le-en-marseillais-17h45