Mon annonceur culturel,

Mon annonceur culturel,

Sans te faire le coup de la thérapie de couple par papier interposé, je me suis dit que pour fêter la saison des amours, l’occasion est toute trouvée de faire juste une mise au point sur celui qui nous lie.

Alors oui, les temps sont rudes, les budgets baissent, les équipes rétrécissent, le moral tangue.  Si on t’a choisi comme partenaire depuis presque dix-huit ans, ce n’est pas pour l’appât de gain, on se doute bien que tu n’es pas éligible à l’intronisation au CAC40. Non, ce qu’on aime chez toi, c’est ta résistance et ta ferveur à faire battre le palpitant culturel de notre territoire.

Forcément, on a remarqué la drague insistante de cette communication web. Gratuite, rapide, tellement en phase avec l’air du temps. À côté, on a la sensation d’être une vieille tante imbibée de naphtaline avec un chemisier taché d’encre quand on évoque la visibilité sur le papier. Face à ce redoutable chant de sirène, on ne séduit pas avec cette bonne vieille impression, plus contraignante et plus chère. Mais en creusant le sujet, l’expérience dévoile petit à petit qu’elle reste bien plus impactante.

Évidemment, tu entends nos discours lancinants sur l’état de nos galères financières et tu sais bien que l’on a besoin de ton aide à répétition. Cependant, évinçons une bonne fois pour toutes un possible malentendu relationnel : nous nous refusons à cette pratique vulgaire du publi-rédactionnel masqué. Tous les quinze jours, au moins quinze mille paires de mirettes souhaitent lire du subjectif, de l’opinion débordante, du verbe vif et vivant.

Notre économie sera peut-être bientôt qualifiée d’utopiste et à chaque démarchage, tu as la sensation de faire un don à une association d’anciens combattants. Oui, nous luttons pour une presse indépendante, envers et contre toute pression. Tu es notre seul et unique financeur, notre pilier indispensable pour une liberté de ton et de contenu.

Le journal aime écrire pour ses lecteurs, l’impression aime les annonceurs pour financer l’encre et le papier, les annonceurs aiment de plus en plus la gratuité de leur visibilité.

Cher partenaire, tu ne peux ignorer l’issue tragique de ce triangle amoureux qui, s’il prend racine, deviendra cruel.

 

Nadja Grenier