Millefeuille | Pour maman, mémoires d’un dégun de Adam Saïd et Cépé

Son nom est personne

 

Fruit d’une nouvelle collaboration entre Daniel Saïd et Adam Pianko, le roman graphique Pour Maman, mémoires d’un dégun est une sorte de fiction biographique inspirée du quartier de la Savine et réinterprétée par l’illustrateur Cépé. Genèse de cet objet littéraire et de ses multiples composites.

 

Sur la première de couverture, un groupe de personnes prennent la pose en contre-plongée. En arrière-plan, un bâtiment type tour : bienvenue à la Savine, cité construite dans les années 70 dans le quinzième arrondissement de Marseille. Une cité connue pour ses perpétuels démantèlements et réhabilitations. Pour Maman, mémoires d’un dégun semble à première vue s’apparenter à un éloge autobiographique à la figure maternelle. Avec ce titre proposé par l’éditrice, il s’agit cependant de s’inscrire dès la première ligne dans le fil de l’intrigue qui raconte la vie de deux fratries, et particulièrement l’une d’elles, qui cherche par les moyens dont elle dispose à se faire de l’argent pour permettre d’alléger le fardeau de sa mère.

Sur la deuxième page, quelques définitions relatives au vocable marseillais, accompagnées sur leur droite d’une illustration du Mucem et du Fort Saint-Jean. Page après page se développe l’effet de surprise lorsque l’on s’est habitué au cadre formel de la bande dessinée. Pas de bulles, mais une composition panoramique, comme une scénographie de cinéma, des gros plans sur les visages inspirés à l’illustrateur Cépé par des extraits vidéo. Des couleurs disséminées comme un code, qui paraissent être conçues comme une sémantique : Wonder, l’un des frères, danseur talentueux, nous apparait en jaune (la lumière ?), mais son frère, introduit comme un « dégun », commence sans couleurs avant d’en être recouvert à foison, à l’image des casquettes qu’il va arborer par la suite. Le rouge de Daniel indique une rupture dans l’histoire, comme l’annonce d’un facteur décisif. C’est d’ailleurs lui qui prête une partie de son histoire personnelle et de sa connaissance du découpage du quartier et de son jargon à la plume d’Adam Pianko, avec qui il travaille depuis plus de cinq ans.

Ces deux profils atypiques — Adam, écrivain et réalisateur né de parents juifs polonais, est fasciné par les histoires d’escrocs ; Daniel, d’origine comorienne, passera de l’animation radio au socio-culturel puis au théâtre — partagent leur goût du véridique sans être documentaire, de la spontanéité et de la légèreté comme savoir être. Inspirés par leur passé, ils tourneront le film Aouine, qui rempotera la Palme d’Or du Festival International du Cinéma Méditerranéen de Tétouan au Maroc. Caméra à l’épaule, style « nouvelle vague », ils s’inscrivent dans une volonté d’apporter une vision anti-communautariste des personnes qu’ils filment et érigent l’amateurisme comme matériau de création, attitude qui leur attirera les ferveurs du public et leur permettra de financer leur projet par le biais de la plateforme de crowdfunding Ulule. Leur démarche n’est pas sans rappeler Les Idiots de Lars Von Triers, ou bien encore L’Esquive d’Abdellatif Kechiche, dans leur manière de donner à comprendre sans pour autant forcer l’approbation, et qui s’éloigne ainsi des longs métrages à la thématique similaire comme Chouf.

Une aventure bien loin de se terminer pour ces deux auteurs, qui décident depuis peu de signer comme une seule et même personne et de fusionner leur noms et visages. Adam Saïd, donc, nous témoigne d’un autre projet sur le feu, une sorte de tragicomédie ayant pour décor le festival de Tétouan, et mettant en scène des histoires vraisemblables traitant de l’homosexualité ou des jeux de l’amour et du hasard dans ce cadre marocain. Il s’agira aussi, sur le long terme, de faire renaitre de leurs cendres certains projets, pas encore dévoilés.

À l’image de ses auteurs, Pour Maman, mémoires d’un dégun est avant tout une histoire de rencontre, et nous donne par conséquent l’impression d’accorder sa place à tout le monde ainsi que sa juste part de liberté à la création artistique, aussi bien littéraire que visuelle ou cinématographique. Il est également l’occasion, pour ceux qui y ont contribué, d’avoir sous la main un résultat palpable, comme un extrait de mémoire matériel, témoignage d’une époque et d’un lieu.

 

Laura Legeay

 

Pour maman, mémoires d’un dégun de Adam Saïd et Cépé (Éditions Les Enfants Rouges)

Rendez-vous avec les auteurs :

– Le 26/05 au Cinéma les Variétés (37 Rue Vincent Scotto, 1er). Rens. : 0 892 68 05 97

– Le 14/06 à la Librairie Maupetit (142 La Canebière, 1er). Rens. : 04 91 36 50 50

 

Pour en (sa)voir plus : http://enfantsrouges.com/les-titres/isturiale/pour-maman-memoires-dun-degun/