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Millefeuille | La Revue Dessinée

Les faits du logis

 

Auteur de bande dessinée talentueux et adepte du dessin sur le vif, Benoît Guillaume s’est fait une spécialité des reportages en BD, que ce soit sur ses voyages en Asie du Sud-Est ou sur la Birmanie, mais aussi à propos de Marseille, sa ville d’adoption depuis une dizaine d’années. Après un très instructif reportage pour La Revue dessinée sur l’Après M, le Mc Do des quartiers nord reconverti en restaurant solidaire, il fait paraître dans cette même revue un nouveau reportage avec la journaliste Fériel Alouti sur le mal-logement à Marseille, après le triste troisième anniversaire de l’écroulement des immeubles de la rue d’Aubagne.

 

 

Après des premiers travaux en tant que directeur artistique pour le web où il s’est essayé au dessin d’animation, Benoît Guillaume est auteur de bande dessinée à plein temps depuis une quinzaine d’années. Après son carnet de voyage sur l’Asie du Sud-Est, Chuc Suc Khoé, paru en 2010 chez Cambourakis, cet infatigable voyageur a signé plusieurs ouvrages sur la Birmanie avec Frédéric Debomy au scénario, mais aussi des fictions dont une adaptation en BD du roman de Marie Ndiaye La Sorcière paru en 2018 chez Actes Sud. Installé à Marseille depuis près de dix ans, il a contribué à de nombreux projets autour de la cité phocéenne, notamment en réalisant des croquis sur le vif de concerts ou autres événements comme à la Friche La Belle de Mai.

À la suite de son reportage en BD sur l’Après M avec le journaliste Julien Brygo, Benoît Guillaume revient dans les pages de l’excellente Revue dessinée avec une enquête consacrée au mal-logement à Marseille en compagnie de la journaliste Fériel Alouti, pour lequel ils ont rencontré nombre d’acteurs : Florent Houdmon de la Fondation Abbé Pierre, Maël Camberlein, un des survivants de la rue d’Aubagne, mais aussi Patrick Amico, responsable logement au sein de la nouvelle municipalité marseillaise.

Trois ans après la catastrophe de la rue d’Aubagne qui a coûté la vie à huit habitants des deux immeubles effondrés, constituant un véritable électrochoc sur la situation du logement à Marseille, et après un changement de municipalité, quel est l’état des lieux du logement à Marseille ? C’est ce qu’ont décidé d’établir les auteurs de ce reportage.

Malgré des effets d’annonce, peu de travaux ont été réalisés. Pire, de nombreux relogés suite aux multiples évacuations d’immeubles dans toute la ville après le 5 novembre 2018 ont été contraints de regagner leurs anciens logements sans qu’aucun travaux n’aient été faits. Comme c’est le cas pour Julia, mère de six enfants, qui a été invitée à reprendre son logement par la Soliha, structure « mandatée par la ville pour accompagner les délogés », appartement où elle a retrouvé « toutes les mêmes fissures […] qui l’obligent à dormir toute habillée. Sans parler des rats… »

Si la situation trouvée par la nouvelle municipalité est le fruit de vingt-cinq années d’une politique négligente, voire clientéliste (le parc immobilier de la ville est parfois revendu pour des sommes dérisoires à des privés, sans oublier qu’un des deux immeubles effondrés rue d’Aubagne appartenait à la mairie), le cas de la Métropole, « qui détient quasiment toutes les prérogatives en matière de logement » s’avère affligeant lui aussi. Alors que Marseille Horizon, « la plus vaste opération de requalification urbaine à Marseille », doit mobiliser 600 millions d’euros, presque rien n’a été fait. Il a déjà fallu deux ans pour trouver un directeur à la structure !

C’est pourtant bien le manque de logements sociaux que pointent les auteurs de cette enquête, les promoteurs contournant la loi pour ne pas avoir à en construire. Les bailleurs privés, stigmatisés à l’époque (en plus de la pluie) par Jean-Claude Gaudin, ne sont pas en reste. Les marchands de sommeil, qui cherchent une rentabilité maximale, ce que le prix encore peu élevé de l’immobilier à Marseille leur permet à moindre frais, profitent de la précarité de leurs locataires, qui plus est parfois en situation irrégulière. Ce qui fait qu’il y a peu d’actions en justice, les locataires n’osant pas porter plainte alors que la loi le leur permet.

Malgré tout, et comme le rapportent Fériel Alouti et Benoît Guillaume, des procès ont tout de même abouti à la condamnation de propriétaires, comme cet ostéopathe dont l’immeuble rue Saint Pierre a vu son toit s’effondrer, les bailleurs publics restant pour l’instant hors de cause.

Même si le reportage finit sur une note optimiste (Julia et ses enfants ayant été relogés), on ne peut que s’indigner devant cet état des lieux du logement à Marseille, que les annonces du président Macron ne font qu’entériner. Espérons que les morts de la rue d’Aubagne n’auront pas péri pour rien.

 

JP Soarès

 

Le numéro 34 de La Revue Dessinée est disponible en librairie.

 

 


Focus sur La Revue dessinée

Créée en 2013 par un collectif d’auteurs (à la suite du succès de concepts similaires comme XXI, qui intégraient déjà des reportages en BD), La Revue dessinée propose tous les trimestres sur plus de 200 pages un sommaire entièrement consacré à la BD de reportage sur des sujets politiques, de société ou culturels, mettant le plus souvent en duo des journalistes et des auteurs de BD. Le succès est tel qu’en 2016, la même équipe lance Topo, une version pour les moins de vingt ans.

JPS

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