Les disques Crapoulet...

Le milieu musical DIY

Pour survivre face à l’impitoyable industrie musicale, ils ont fait le choix de l’indépendance et du DIY. Focus sur les punk-rockers marseillais, qui en ont fait tout un art de vivre.

 

L’industrie du disque est en berne, il paraît. Enfin, surtout les majors : vendre un CD à 15 € quand l’artiste touche 8,1% (soit 1,20 euros), voilà qui décomplexe le téléchargement. Pourtant, alors que les ventes de CD baissent, celles de vinyles augmentent. Evidement, cette « niche » composée de passionnés de musique, de disques et d’attachement à l’objet profite surtout aux majors qui rééditent les classiques au prix fort (comptez 48 euros pour la version « anniversaire » du In Utero de Nirvana).
Le milieu musical, surtout punk, s’est toujours émancipé de cette logique mercantile, de par sa culture mais aussi par souci d’indépendance. Devenue la norme, la culture de l’autoproduction et du DIY (Do It Yourself) facilite à la fois la naissance de réseau et l’autonomie. Concrètement, un groupe qui veut faire des concerts s’occupera de l’organisation ; pour jouer à l’extérieur de sa ville, il fera la première partie d’un groupe dans une autre ville et vice-versa. Pour la sortie d’un disque, on commence par mutualiser l’enregistrement et le pressage, comptant sur ses propres économies. Le disque se vendra par correspondance, en dépôt-vente chez les disquaires locaux (s’il en reste) et les lieux de concert. Il n’est pas toujours facile d’écouler les 500 ou 1000 exemplaires de son disque autoproduit lorsque l’on n’est pas connu. Donc quand des groupes de différentes provenances partagent la scène, ils s’échangent des disques afin d’avoir plus de références à proposer au prochain événement. Au fil du temps, les plus adroits disposent d’un catalogue de disques bien différenciés, comportant — et c’est là tout l’intérêt — des découvertes, des raretés, des curiosités, le tout au prix juste (1). Ils deviennent donc des distributeurs ou « distro » pour les initiés, ce qui accroit encore leur catalogue, bénévolement. Lorsqu’ils mettent leur passion au service des groupes en les produisant, ils deviennent un label.

Damien Bœuf

 

L’Interview
Crapoulet Records

 

Fondateur du label/distro Crapoulet Records et organisateur de concerts, Olivier Firminhac est l’un des fers-de-lance du DIY à Marseille. Il nous explique sa démarche singulière, à l’opposé des clichés du milieu punk/hardcore.

 

Crapoulet fait preuve de second degré, avec une attitude et une charte graphique aux antipodes de l’ambiance virile et sérieuse que l’on trouve dans le hardcore (HxC), le punk et le metal en général. Pourquoi avoir choisi cette voie ? Comment penses-tu être perçu dans le milieu ?
En fait, j’en avais marre de cette iconographie qui tournait un peu en rond, les paysages post-nucléaires, les têtes de mort, les masques à gaz, les trucs pointus, les trucs empruntés à la guerre, c’est pas super positif, alors que techniquement, on fait du punk pour changer un peu les choses.
De même, le côté viril et machiste, excluant d’un coup la moitié de la population, je comprends pas trop. Surtout que, par exemple, dans les scènes plus hardcore/metal et donc encore plus machistes, c’est pas mal entaché d’homophobie, alors que bon, une cave remplie de mecs torses nus, se bagarrant, pleins de sueurs…
Comme je le répète souvent : tout le monde est bienvenu dans le punk, et ça ne doit pas changer, sinon c’est un échec. Comme j’avais envie d’autre chose, un peu fatigué par toutes ces années d’imagerie négative qui finalement ne voulait plus rien dire, j’ai forcé un peu l’accent en mettant beaucoup de photos d’animaux, du rose, des couleurs vives, un peu d’humour… Je mets en scène les disques que je sors, avec des jouets ou ce genre de trucs, ce qui, pour le coup, est très décalé d’un point de vue global. Les puristes aiment bien, je pense, de même pour une certaine frange de gens qui apprécient peut être un peu l’humour et la fraîcheur qui s’en dégagent. La plupart de mes clients sont des vieux de la vieille ou des jeunes très curieux et très pointus. Au final, les seules critiques que je reçois proviennent de gens qui manquent de recul : ils y croient à mort, ils sont supers violents aux concerts, ils écoutent des milliards de titres sur Youtube, mais en fait, généralement, ils n’y connaissent rien, et de toute façon n’achètent pas de disques. Par contre, ils sont très moralisateurs.
Je t’avoue que mon logo est un sacré filtre à groupes trop sérieux : des « vrais mecs » qui veulent faire carrière, qui n’ont donc aucune envie d’avoir un cochon d’Inde sur leurs pochettes.

 

Comment se passent les relations entre distro ?
La majeure partie de ma distro provient d’échanges avec les autres labels comme le mien, c’est vraiment devenu un moyen universel de travailler. C’est assez cool parce qu’entre pays, on se dédouane complètement de notion d’argent, et ça permet de découvrir pas mal de bons groupes. De toute façon, très peu de labels ont de vrais distributeurs. Moi même j’ai refusé plusieurs fois, étant donné les marges prises par ces distributeurs (excessives) et les contrats abusifs (qui par exemple bannissent l’échange).

 

Quel est le modèle économique d’une distro ? La vente d’un disque finance le suivant ?
Oui, globalement, ça s’autofinance. Etant donné le rythme fréquent de mes sorties, je n’en suis plus à attendre les ventes d’un disque pour payer le suivant, mais c’est plutôt un compte global. Tout ça ne m’empêche pas d’injecter du budget dedans histoire de booster un peu quelques sorties. Disons que certains font de l’ULM ou de la plongée à fonds perdus, moi, c’est un label !

 

Quelle est la politique de rémunération d’un groupe que tu produis ?
En général, je donne 20 % des disques au groupe pour qu’il paie les frais de studios avec, sachant que je paie tout le reste. Il n’y a pas de contrats ou ce genre de trucs, tout se résume à une poignée de main, la musique et les droits restent aux groupes.

 

Comment choisi-tu les groupes que tu produis ?
ça dépend de beaucoup de choses : souvent, c’est le groupe du petit frère ou le pote d’un des mecs que j’ai déjà produits, ce qui explique une sorte de filière argentine, israélienne, ou croate. J’ai des sortes de « chasseurs de tête » locaux qui me conseillent sur les groupes en devenir. Souvent, je reçois des mails de la part de groupes, j’écoute et je produis si le coup de cœur se fait. D’autres fois, j’écoute des trucs (sur Bandcamp ou sur disque) et lorsque j’aime bien, je vois avec eux ce que je peux faire (suivant l’état de mes finances). Je ne m’interdis rien et ne me cantonne à aucun style, ça rime à rien, faut juste que ça me plaise.

Propos recueillis par Damien Bœuf

 

Bistro distro, avec les distros locales : tous les deux mois à la Salle Gueule (8, rue d’Italie, 6e)
Prochain concert : The Boring + Another Five Minutes + Rats Don’t Sink, le 29/10 à la Machine à Coudre (6 rue Jean Roques, 1er)
Rens. crapoulet.fr

 

Les distro locales

Vortex

L’agenda gratuit des concerts underground & Co.
Versions papier & web : levortex.fr

 


R.A.S. circa 2014

R.A.S. circa 2014

Les 25 ans de Disagree Records

Parce qu’il voulait jouer «live» avec son groupe Rapist, il organise son premier concert, avec en tête d’affiche les Australiens The Hards-On à l’Arsenal des Galères (ancien Trolleybus). C’était en 1989, il avait vingt-deux ans. Depuis vingt-cinq ans maintenant, Stéphane Becamel, alias Momo, organise des concerts de punk et de hardcore avec l’asso Runaway Mouvement puis Disagree Records, label (et petite distro) qui produira les disques de son autre groupe P38 et d’une dizaine d’autres combos (voir Ventilo n°62). Autofinancé, non subventionné, il fait venir dans les salles de la région des groupes du monde entier, dans la pure tradition du DIY.
Pour fêter cet anniversaire, Momo organise deux soirées de concerts au Molotov. Seront présents des artistes du label évidemment, mais aussi des découvertes de Paris (où Momo officie désormais) et en guise d’événement, le retour de RAS, groupe culte punk/skin parisien qui se saborda en 1984 pour couper court à la gangrène nationaliste dans ce milieu musical (on y retrouve maintenant d’anciens P38). Un grand moment de retrouvailles fraternelles en perspective…

dB

 

Back to the future festival : les 7 et 8/11 au Molotov( 3 place Paul Cezanne, 6e).
Rens. www.lemolotov.com

Programmation du Back to the future festival ici

 

Notes
  1. Entre 6 et 15 euros pour un vinyle. Souvent le packaging est travaillé : pochette sérigraphiée ou découpée, disque de couleur ou sérigraphie.[]