Métisser des liens

Métisser des liens

Dans l’urgence du sauve-qui-peut de notre époque finissante, notre réflexion se cantonne souvent à l’immédiateté. Nos corps se voient contraints à l’adaptation, dictés de s’éloigner de ceux qui nous attirent. Nos esprits s’habituent à se méfier du contact des personnes que nous aimons. Il nous faudrait désormais vivre chaque jour plus dur au mal et la peur au ventre. Le temps suspendu d’un confinement nous poussait pourtant à l’examen du temps long, universel, du « monde d’après ». Celui du progrès, du rapport au monde et aux autres. Qu’il est navrant de penser ranger cet espoir au rang des bonnes résolutions oubliées ou d’avaler qu’il s’avère en réalité le même, en un peu pire (1) ! Dans le glossaire nouveau est apparu un mot pensé par un écrivain antillais, Édouard Glissant, qui pourrait nous réconcilier avec l’avenir. Créolisation. Vu par l’auteur comme un métissage qui produit de l’imprévisible, devenir pressenti des cultures du monde. Le métissage produirait selon lui des conséquences attendues. La créolisation, dont l’éclatement des cultures est un signe violent d’un partage consenti, non imposé, serait créatrice malgré nous et avec nous. Elle défricherait le chemin entre ordre et chaos, planification ou effondrement, origine ou séparatisme, débats prévisibles. Alors de voie il n’y aurait pas, se trouverait partout à la fois, dans toutes les directions, pour peu que l’on consente à s’y perdre, si peu.

 

Victor Léo

 

 

 

Notes
  1. Michel Houellebecq, France Inter, 4 mai 2020[]