Acte 3 : Olivier Grossetête métamorphosera la place Bargemon en ville en carton © Vincent Lucas

Métamorphoses (Lieux Publics)

Un cœur qui bat

 

Habituée à investir l’espace urbain depuis une dizaine d’années via diverses manifestations (Sirènes et Midi Net, Small is Beautiful…), l’équipe de Lieux Publics ne pouvait décemment pas laisser l’opportunité d’envahir le « nouveau » centre-ville de Marseille de manière créative. Dont acte avec Métamorphoses, qui invite des artistes européens de divers horizons à entamer une partie de jeu inédite en trois actes, afin de « libérer l’imaginaire, susciter une poésie de l’inattendu et inviter les citoyens à être au cœur des créations. »

 

Déjà « métamorphosée » depuis l’ouverture de la Capitale par le Détournement de Pierre Delavie, qui chamboule les perspectives en créant une nouvelle (fausse) artère sur la façade du Palais de la Bourse, la Canebière est la star de l’Acte 1, Le Grand Ensemble. Au programme, deux rendez-vous aussi populaires que symboliques : Figures libres, création déambulatoire de la compagnie KompleXKapharnaüM, et Le Grand Bavardage, immense banquet artistique destiné à honorer un art ancestral typiquement marseillais : la tchatche.
Fascinant point central de la ville, la Gare Saint-Charles sera la grande héroïne de l’Acte 2, Forain Contemporain. On pourra y admirer le musée à ciel ouvert des Slovènes du Ljud Group et voyager en musique avec Rara Woulib ou — tout en restant à quai ! — avec la nouvelle création de Pierre Sauvageot (directeur de Lieux Publics). On pourra également assister à l’« embrouille chorégraphique » des Stars on Stairs sur les escaliers monumentaux ou « s’envoyer en l’air » avec Rodrigo Pardo, qui lance un véritable défi à la gravité avec Flat.
Sous la houlette du plasticien Olivier Grossetête, l’Acte 3 métamorphosera la place Bargemon en Ville éphémère en carton, édifiée puis déconstruite par plusieurs milliers de personnes. Tous les jours pendant la première semaine d’octobre, la ville vivra ainsi au rythme du chantier et de propositions artistiques décalées.

Histoire de démontrer aux derniers sceptiques que Max Ernst n’avait pas tort quand il déclarait que « l’art est un jeu d’enfant ».

PM

 

> Du 20/09 au 6/10 à Marseille. Rens. : www.lieuxpublics.com/fr/metamorphoses

La montée des marches © Barbara

La montée des marches © Barbara

L’Interview
Pierre Sauvageot (Lieux Publics)

 

Alors que les échos de sa dernière frappe Champ Harmonique résonnent encore sur la ville, Lieux Public récidive avec un événement gargantuesque en trois actes, trois lieux et plus de dix propositions. Pierre Sauvageot, directeur de la structure désormais incontournable de la vie culturelle marseillaise, revient pour nous sur la manifestation. A l’heure où la ville et son centre connaissent moult mutations, Métamorphoses propose des temps d’arrêt, de réflexion et surtout de connexion.

 

Quelle est la genèse du projet ?
Il y a eu beaucoup d’allers-retours. A l’origine, le projet fut pensé de façon plus étendue, à échelle métropolitaine ; on envisageait environ dix ou quinze installations sur l’ensemble du territoire marseillais, mais de fil en aiguille, il s’est réduit. Au final, on l’a focalisé sur le centre-ville, ce qui a du sens d’ailleurs puisque c’est en cette même place que se joue la vraie métamorphose en réalité. A l’inverse des autres villes, Marseille a cette particularité de travailler son centre-ville, là où les autres en sont à refaçonner leurs périphéries. Le choix de jouer le premier acte autour de l’axe de la Canebière est donc pleinement justifié. Si, jusqu’à il y a encore peu de temps, la ville était scindée en deux avec au Nord de la Canebière la ville pauvre et ses cités, et au Sud l’aisance et ses jolies résidences, aujourd’hui, le centre ville change et c’est tant mieux.

 

Pourquoi ce nom de « Métamorphoses » ?
Il y a quelque chose d’émouvant dans ce mot. Sa racine est lointaine et riche de sens. Elle renvoie au passé et connote le fantasme de révolution. En réalité, la question des titres est très compliquée. Vu que c’est un peu le drapeau du projet, il est important de ne pas se tromper. Cela fait trois ans qu’on y pense et définitivement, « métamorphose » est le terme qui convient, plus complet que celui de « transformation ». Il fait inévitablement référence à Ovide et surtout corrobore l’idée des trois étapes, ici représentées par les trois actes proposés.

 

Vous avez été très impliqué dans le projet « Capitale ». Attendez-vous un Marseille 2014, 2015, voire plus ?
Pour l’instant, rien n’est encore annoncé. Il en avait été question dans les débuts, quand Marseille a eu la confirmation qu’elle serait Capitale. Puis, rapidement les belles idées sont tombées aux oubliettes. Evidemment, les enjeux politiques autour des prochaines élections municipales y sont pour beaucoup. En effet, on ne sait pas qui sera à la tête de la ville l’année prochaine et qui disposera des clés pour décider des efforts qu’il faudrait continuer de fournir. Actuellement, les décisions sont gelées et les élus se font discrets, mais tôt ou tard, ils devront s’exprimer sur ce sujet. Le changement social auquel nous sommes en train d’assister est tellement profond et réel que nous pouvons parler de véritable transformation des habitus.

 

Pouvez-vous nous parler plus en détail du projet Igor Hagard que vous orchestrerez dans le deuxième acte de Métamorphoses ?
J’ai pour habitude de toujours trancher avec mes précédentes propositions. Après le succès de Champs Harmonique, qui me dépasse toujours d’ailleurs, j’étais heureux de pouvoir me plonger dans cette nouvelle aventure et de pouvoir travailler dans l’enceinte de la Gare Saint-Charles. La partition du Sacre du Printemps est tellement riche en connotations et forte de sens qu’il m’a semblé évident de pouvoir la transformer en instrument de voyage. Un peu à l’image d’une gare, l’œuvre d’Igor Stravinsky remua fortement les carcans lorsqu’elle fut présentée pour la première fois il y a un siècle. Très controversée et anticonformiste, c’est une œuvre propice aux détournements. Sans toucher à la partition, on oublie donc les instruments philharmoniques et on prend le temps d’écouter les sons ambiants (rumeurs ferroviaires, signaux sonores, vagues et mouettes, gouttes et tonnerre, paroles polyglottes, touches radiophoniques…). Aujourd’hui encore, retravaillée et triturée, ma version ne sera pas nécessairement appréciée des puristes. Heureusement pour moi, après une avant-première à Rennes au mois de juin, j’ai eu le plaisir de constater que mes confrères, bien qu’issus d’une certaine école de la rigueur, se sont avérés très réceptifs à ma proposition.

 

D’autres projets en tête ?
Pas dans l’immédiat, la coupe est pleine pour l’heure. Cela fait un an que j’enchaîne les projets sans prendre de pause. J’ai bien encore quelques engagements, notamment à Aubagne, mais honnêtement, je ressens le besoin d’une coupure. Un temps d’arrêt pour mieux repartir et revenir en pleine forme au mois de mai 2014 avec la proposition des Work in progress. En association avec le réseau In Situ, on prévoit une transhumance de neuf artistes européens, autour de marches artistiques. Ces neuf projets originaux, qui auraient dû être intégrés au GR®13, s’en sont finalement vus écartés. Enfin, n’en disons pas plus…

Propos recueillis par Sylvia Ceccato

 

Métamorphoses : du 20/09 au 6/10 en centre-ville de Marseille.
Rens. www.lieuxpublics.com / www.mp2013.fr