Famille Napolitaine © collection des cartophiles marseillais

Marseille la Napolitaine par Michel Ficetola

Une affaire de familles

 

Ode à une communauté de migrants fondue dans le paysage sociétal, le beau livre Marseille la Napolitaine dresse un état des lieux des apports des mouvements italiens à notre culture locale. Rencontre avec un auteur passionné et passionnant.

 

Michel Ficetola ne parle pas avec les mains, mais son être tout entier transpire ses origines napolitaines et, plus largement, vibre de son attachement à une Méditerranée dont il est un produit pure souche ; le champ de ses connaissances en font une source intarissable d’histoires qui s’étendent de Marseille à la Provence, jusqu’au pays de ses aïeux. Sa formation de linguiste, sa carrière de professeur d’italien, son amour immodéré des us et coutumes locaux ainsi que ses nombreux écrits sur le langage marseillais sont, dans le large spectre de ses activités, quelques preuves de son attachement immodéré au Sud, de son amour de notre culture commune, enrichie par la mixité sociale au fil des siècles. S’entretenir avec lui est l’occasion de se plonger dans un océan de faits historiques, d’anecdotes pittoresques ou dramatiques, de naviguer entre étonnement et émerveillement.
La passion qui anime ce personnage haut en couleur est infusée dans les presque quatre cents pages de son ouvrage, qui a vu le jour sur une initiative personnelle, 100 % marseillais dans l’écriture (à huit mains, avec Luc Antonini, Albert Leibovitch et Patrick Fancello), l’édition et l’impression. Le fruit de quatre années de recherche, rédaction et mise en page paru sous la bannière des éditions Massaliotte Culture, fièrement affranchies de tout financement public. Le résultat s’avère à la hauteur des ambitions initiales : décrire le vieux Marseille à travers le parcours de la communauté napolitaine, attester de l’empreinte positive qu’ont laissée les Transalpins dans la société française par une transcription factuelle de la réalité et des portraits de personnalités fondatrices ou héritières.

 

La vie est belle ?
Comme un clin d’œil satirique de l’histoire à une mémoire collective dont l’actualité atteste d’une aptitude à l’oubli, Michel Ficetola nous présente ceux qui étaient détestés au siècle dernier : ces Napolitains qui vinrent s’installer continuellement à Marseille, que ce soit pour convenances personnelles ou par obligation. Lorsque ses propres arrière-grands-parents et leurs frères d’exil arrivèrent dans la cité phocéenne, ils le firent dans des zones rurales, délaissées des locaux, telles qu’une Timone alors en friche, les ports et surtout des quartiers du centre comme Saint Lazare — qui, pour l’anecdote, possédait alors sa rue des Napolitains — ou Saint Jean, surnommé « la petite Naples ». Un lieu fortement décrié par certains car, faute de moyens, ceux qui s’y installèrent y construisirent des habitations vétustes et délabrées, dans des zones qualifiées d’enclos dans le langage marseillais.
Cette Naples miniature s’est transformée en ghetto par la force d’un cercle vicieux qui nous renvoie aux clivages actuels : isolés dans des bidonvilles honnis à la manière des populations de l’Est, accusés de tous les maux tels les Africains, victimes de clichés alarmistes sur leur mode de vie, ostracisés par les pouvoirs publics comme les migrants moyen-orientaux… ce coquin de sort semblait leur imposer tous les fardeaux que d’autres auraient à porter après eux, ce rejet aboutissant à un repli communautaire. Moqués de nabos (référence aux Napos et à leur taille modeste), les Napolitains furent victimes d’une campagne de dénigrement et de persécution politique dont l’apogée funeste furent des rafles et une destruction de leur quartier pendant la Seconde Guerre mondiale. Une manière de se débarrasser d’une communauté dont les enfants avaient réussi, malgré les épreuves et en quelques décennies seulement, à s’imposer dans le paysage économique et politique (Henri Tasso fut maire de Marseille en 1935).

 

Tu vuo’ fa’ l’italiano
Le recours au communautarisme, au sein de leur enclave étrangère en plein cœur de la ville, a eu pour conséquence de permettre aux Napolitains de laisser une empreinte tenace dans le quartier, dans la commune et plus encore dans la région entière. Cette trace est protéiforme : dans le langage usuel (les marioles qui s’engatsent, mettent le oaï et ceux frappés par la scoumoune peuvent dire merci au sanjanen, ce mélange de provençal et d’italien dont découle le parler marseillais), dans nos assiettes (cette drôle de pâte circulaire recouverte de sauce tomate, et quelques fromages que nous dégustons encore), dans l’enrichissement des traditions locales (sous leur influence, les santons se sont habillés quand le monde du football a évolué) ou encore dans le paysage urbain : au sortir de la guerre, la main d’œuvre italienne, corvéable à merci et bon marché, permit la reconstruction de la ville.
C’est de tout cela qu’atteste Les Napolitains de Marseille, via des portraits de personnalités hautement évocatrices et une partie historique méticuleusement documentée, le tout porté par une soigneuse mise en page, judicieusement illustrée de photographies et cartes postales (fournies par le Club cartophile marseillais) qui nous font vivre un voyage textuel et visuel fort enrichissant. Le rappel que les Méditerranéens sont tous des organismes génétiquement modifiés, et qu’aucun suprémacisme ne saurait prévaloir sous notre beau soleil. Désormais totalement assimilé à notre ADN, parfaitement invisible dans le paysage national, personne ne saurait remettre en cause la légitimité de l’Italien. Du Napolitain.

Sébastien Valencia

 

Dans les bacs : Marseille la Napolitaine (Massaliote Culture – 370 pages, 50 €) et Les Napolitains de Marseille (éditions Ecriplus – version allégée de 94 pages, 10€

  • Soirée de lancement : le 5/11 à l’Institut Culturel Italien (6 rue Fernand Pauriol, 5e).
    Rens. : 04 91 48 51 94 / www.iicmarsiglia.esteri.it/

  • Exposition La Petite Naples phocéenne d’antanpar le Club Cartophile Marseillais : jusqu’au 13/11