Manœuvres cachets

Un édito sur la problématique des intermittents du spectacle ? Par où commencer ? Expliquer concrètement les changements actés par l’accord du 22 mars ? Le différé d’indemnisation, l’augmentation des taux pour les employeurs et employés… ? Non, trop technique. Dire que l’argument d’un déficit à combler sur le dos des intermittents est une information erronée et mensongère ? Bah, ça fait un moment que les intermittents sont pris pour cible par une partie de l’opinion publique et que les médias en profitent pour envenimer les relations intercommunautaires. Raconter qu’une coordination des intermittents travaille depuis dix ans afin de proposer un nouveau modèle plus juste, mais que le Medef n’a pas lu ce rapport ? Non, tout le monde sait bien que le Medef ne sait pas lire. Rappeler que le ministre du Travail François Rebsamen, jadis en campagne pour la mairie de Dijon, avait dans son programme une partie intitulée « Pas touche au statut des intermittents » et qu’il s’apprête pourtant à agréer l’accord ? Ben non, cela ferait du tort à notre gentil gouvernement « de gauche »…
Reste à dire que le problème n’est pas économique mais idéologique. Le Medef utilise le régime spécifique des intermittents du spectacle comme cellule test, invitant les individus concernés à devenir entrepreneurs de leur propre économie, à écraser les autres sur leur passage, à sacrifier leur temps de vie privée et à utiliser toutes les astuces d’un système capitaliste pour « réussir ». En attendant, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches. Une alternative doit donc être proposée aux intermittents du spectacle, pouvant servir d’exemple de maintien, voire d’amélioration des droits sociaux pour l’ensemble de la société. Ce modèle culturel néolibéral ne peut pas être cautionné par un gouvernement socialiste. Et même, soyons fou, profitons de cette crise pour repenser la culture et la politique culturelle, elles aussi de plus en plus éloignées de leur fonctions fondamentales, comme la résistance à l’exploitation économique et la domination politique. Laissons à l’économiste Antonella Corsani le soin de conclure (dans Le Monde du 18 juin) : « Si la “culture” néolibérale fait du risque l’affaire de tous et la responsabilité de chacun, la “culture” défendue par les intermittents du spectacle en lutte fait du mutualisme le cœur d’un nouveau rapport des individus à eux-mêmes et aux autres. »
Et si l’exception confirme la règle, gageons que la France saura maintenir ce régime spécifique dans un monde globalisé toujours plus méprisant envers ce qui ne se chiffre pas.

Maude Buinoud